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Source : www.bahai-biblio.org
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BREF APERÇU HISTORIQUE DE LA FOI BAHA'IE
Par Louis Hénuzet,

érudit Bahá'í et professeur universitaire en étude comparée des religions

Table des matières
1) Les précurseurs
2) Le Bábisme
3) La naissance de la révélation baha'ie
4) La déclaration dans le jardin de Ridvan
5) Constantinople
6) Andrinople
7) De Andrinople à Akka
8) La période d'Akka
9) L'ascension de Bahá'u'lláh
1) Les précurseurs

La naissance de la foi baha'ie peut se placer dans le contexte de l'attente millénariste du 19e siècle. C'est au début de ce siècle que Miller aux Etats Unis, entre autres, annonce le retour imminent du Christ en basant ses calculs sur certains passages de l'Ancien Testament, notamment le Livre de Daniel. Il en est de même d'un mouvement allemand qui se donne le nom de "Templiers" .Ceux-ci vont s'établir au pied du Mont Carmel, en Terre sainte, où ils fondent une colonie dont certaines maisons existent encore aujourd'hui, portant sur leur fronton l'inscription: "Der Herr ist nahe".

L'islam possède également ses courants eschatologiques. Le jugement dernier, pour les sunnites, sera annoncé par le Mahdi (1), suivi du retour du Christ. Quant aux shiites, ils attendent le Qa'im (2) qui précédera le retour de l'Imam Husayn (3). C'est cette dernière perspective qui intéresse surtout l'histoire de la foi baha'ie, puisque celle-ci est née en Iran, donc en milieu shiite.

Le shiisme se distingue principalement du sunnisme par le fait qu'il prolonge la révélation que dispensa le prophète Muhammad, par l'enseignement des Imams qui lui ont succédé. Ces Imams sont les descendants de 'Ali qui épousa Fahimih, la fille de Muhammad. Onze Imams se sont succédés, connaissant pour la plupart des morts violentes à l'instigation des califes (4). Le douzième Imam est réputé être entré en occultation pour ne revenir qu'à la fin des temps sous de nom de Qa'im, de Sahibu'z-Zaman (5) etc.

Au début du XIXe siècle apparaît en Iraq, dans la région de Karbila une école connue sous le nom de Shaykhisme, fondée par un certain Shayk Ahmad-i-Ahsa'i, dont le successeur Siyyid (6) Kazim-i-Rashti précisa encore la doctrine (7). Dans cette doctrine, le Shaykhisme insiste sur le fait que le jour du jugement dernier sera-précédé de l'apparition de l'Imam caché. Celui-ci régnera pendant quelques années pour combattre l'injustice et le mal. Ensuite viendra le retour du Christ ou de l'Imam Husayn. Pour ce retour, on ne parle pas de résurrection (raj'a), mais de manifestation (zuhur) ou d'élévation (qiyam). Siyyid Kazim déclara à ses disciples que l'événement du retour de l'Imam était proche, qu'en fait celui-ci était déjà vivant parmi eux. Il incita donc les disciples à partir à sa recherche, ce que firent un bon nombre d'entre eux - après s.a mort(8).

2) Le Bábisme

L'un d'entre eux, Mulla Husayn-i-Bushrui, se dirigea vers la ville de Shiraz, en Perse, dans la reg ion appelée Elam dans l'Ancien Testament. Arrivé aux portes de la ville, il rencontra un jeune homme qu'il connaissait parce que celui-ci avait assisté à quelques cours donnés par Siyyid Kazim. Celui-ci avait d'ailleurs fait preuve d'une attitude étrange aux yeux de ses disciples, chaque fois qu'il avait rencontré ce jeune homme. C'était une attitude d'extrême révérence, inattendue de la part d'un maître comme Siyyid Kazim à l'égard d'un tout jeune homme apparemment tout à fait insignifiant.

Ce jeune homme s'appelait Siyyid AIi Muhammad-i-Shirazi. Il était né le 20 octobre 1819 à Shiraz dans une famille de marchands. Il était Siyyid à la fois par son père et par sa mère. Comme son père était décédé peu après sa naissance, il fut élevé par un oncle maternel qui le confia à un précepteur pour lui donner une instruction élémentaire. Celui-ci, après quelques leçons, reconduisit l'élève à son tuteur car il estimait n'avoir rien à lui apprendre. Le jeune 'Ali Muhammad n'eut donc aucune instruction théologique comme en recevaient ceux qui se destinaient à être mulla ou mujtahid (9). Son oncle l'associa rapidement à son commerce où il fit preuve d'une exceptionnelle honnêteté.

A l'âge de 20 ans, il ferma son commerce pour se rendre en pèlerinage dans les cités saintes d'Iraq. C est à cette occasion qu'il fréquenta sporadiquement l'école shaykhi où il attira l'attention par son extrême piété. Après envIron un an d'absence, il retourna à Shiraz où il se maria avec une cousine germaine de sa mère. Ils eurent un fils qui mourut en bas âge. Dans les années 1843 et 1844, il fut 1 l'objet d'expériences mystiques où s'imposait de façon dramatique la vision de l'Imam Husayn dont le sang coulait goutte à goutte vers ses lèvres. Cette expérience il la décrivit plus tard: "ma poitrine était pleine de versets convainquant et de prières puissantes...et les mystères de la révélation de Dieu se déployaient dans toute leur gloire devant mes yeux"(10).

La rencontre avec. Mulla Husayn eut lieu le 23 mai 1844. Au cours de la nuit, Siyyid Ali Muhammad se proclama le Qa'im attendu, en prenant le titre de Báb (11). Mulla Husayn, d'abord étonné, fut rapidement convaincu. Quand, le matin, il quitta son hôte pour rejoindre des compagnons qui l'attendaient dans une mosquée, il était devenu le tout premier disciple de celui à qui il allait donner sa vie. Toutefois le Báb lui avait demandé de garder le secret car d'autres personnes devaient trouver cette même voie par leur propre initiative. Rapidement pendant les jours qui suivirent, 17 autres personnes reconnurent le Báb formant un groupe de disciples connus sous le nom "les 18 Lettres du Vivant" (Hurûfu'l-Qayy). Le Báb avec ses 18 disciples forment la première Vahid (unité). Parmi ces 18 disciples, il y avait une femme, Umm-Salamih, appelée aussi Fatimih Bigum Baraghani, la nièce et la belle-fille d'un théologien qui avait vigoureusement dénoncé les doctrines shaykhi. Fatimih était pourtant devenue une disciple fervente de Siyyid Kazim qui lui avait donné le titre de Qurratu'l-Ayn (Consolation des yeux). Bahá'u'lláh plus tard lui donnera le nom de Tahirih (la pure).

L'histoire du Bábisme est tumultueuse car il apparaît rapidement que le Báb n'est pas un simple intermédiaire entre le peuple et l'Imam caché selon la conception shiite ou shaykhi, mais qu'il est l'Imam lui-même ou plus encore une Manifestation de Dieu apportant un nouveau livre et une nouvelle loi (12).

Le premier souci du Báb, après sa déclaration en mai 1844, fut d'envoyer ses disciples en mission. Il retint près de lui Quddus, le dernier des 18 à l'avoir reconnu, pour l'accompagner dans son pèlerinage à La Mecque, envoya plusieurs disciples en Perse et dans la région de Karbila en Iraq pour annoncer sa proclamation sans toutefois dévoiler son identité et surtout confia à son premier disciple la mission de se rendre à Téhéran pour y découvrir un trésor caché qui, selon ses dires, éclipserait la clarté répandue par le Hijaz et par Shiraz réunis (13). Arrivé à Téhéran, Mulla Husayn fut mis en rapport avec celui qu'il cherchait sans le connaître. Son nom était Mirza Husayn 'Ali Nuri, fils d'un ministre du Shah. Mulla Husayn lui fit remettre un extrait du premier document révélé par le Báb, celui dont le premier chapitre avait été révélé en présence de Mulla Husayn pendant la nuit de sa déclaration. Dès qu'il eut jeté un coup d'oeil sur le document, Mirza Husayn 'Ali qui n'est autre que le futur Bahá'u'lláh, accepta la nouvelle révélation. Cela se passait vers septembre 1844.

Dès qu'il fut informé de la nouvelle, le Báb s'embarqua pour La Mecque avec Quddus car il devait se proclamer le Mahdi devant le Sharif de La Mecque qui négligea de répondre à l'épître que le Báb lui avait fait remettre par Quddus. Le Báb rentra à Shiraz en février-mars 1845. Pendant son absence, ses disciples avaient parcouru la Perse pour annoncer sa proclamation, subissant souvent les mauvais traitements que leur infligeaient les autorités politiques et religieuses. Le Báb lui-même fut amené devant le gouverneur de Shiraz, frappé au visage, puis relâché sur parole et remis à la garde de son oncle maternel. Après une année ou deux d'accalmie, la fièvre qui avait saisi ses partisans se communiqua aux membres du clergé, aux classes comri1erçantes et atteignit les couches les plus élevées de la société. Le shah décida de s'informer et envoya un homme de confiance, Siyyid Yahyay-i-Darabi, surnommé Vahid. Celui-ci embrassa rapidement la cause du Báb et refusa de retourner à la cour. Un autre éminent érudit, Mulla Muhammad-'Aliy-i-Zanjani, surnommé Hujjat, prit la défense du Báb. Tous deux périrent dans les massacres qui eurent lieu à Nayriz et Zanjan.

Entre-temps, Mirza Husayn 'Ali n'était pas resté inactif. Il avait converti plusieurs membres de son illustre famille à la cause du Báb. En septembre 1846, le Báb quitta Shiraz pour Isfahan où il reçut la protection du gouverneur, Manuchihr Khan, au grand mécontentement des autorités religieuses qui rédigèrent un document déclarant le Báb hérétique et le condamnèrent à mort. Le gouverneur fit partir ostensiblement le Báb pour le ramener en secret dans sa résidence privée où il fut à l'abri pendant quatre mois. La mort du gouverneur devait mettre fin à cette période de relative tranquillité pour le Báb. Le Vice-Gouverneur, Gurgin Khan, obtint du shah un ordre d'amener le Báb en sa présence. Muni d'une escorte, le Báb partit pour Téhéran où il n'arriva jamais car le Premier Ministre, Haji Mirza Aqasi, craignait que le shah ne tombe sous l'influence du Báb.

Il envoya un ordre au chef d'escorte de conduire le Báb dans le nord de l'Iran et de l'enfermer dans la forteresse de Mah-ku où il allait rester prisonnier jusqu'au 10 avril 1848. Le gouverneur de la forteresse, 'Ali Khan, après avoir témoigné de l'hostilité envers son prisonnier, tomba petit à petit sous son charme. Les rigueurs de l'emprisonnement se relâchèrent et un flot croissant de pèlerins, dont Mulla Husayn, purent rencontrer le Báb. Cependant des agents secrets chargés de surveiller 'Ali Khan informèrent le Premier Ministre de la tournure des événements, ce qui amena le transfert du Báb à Chiriq où il fut confié à la garde du beau-frère du shah. Celui appliqua d'abord rigoureusement les consignes reçues de Téhéran mais il ne put résister longtemps à la fascination que son prisonnier exerçait sur lui. Il en fut de même des villageois de Chiriq, pourtant de race kurde et farouches ennemis des shiites.

Les principaux disciples du Báb sous la conduite de Mirza Husayn 'AIi, Quddus et Tahirih s'étaient réunis dans un hameau du nom de Badasht en juin et juillet 1848. Le but principal de cette réunion était de proclamer les lois nouvelles, c'est-à-dire de rompre avec l'islam. C'est au cours de cette conférence que Tahirih apparut devant tous, le visage découvert. C'est à cette occasion que des nouveaux noms furent attribués. Mirza Husayn 'Ali fut appelé désormais Jenab-i-Baha, comme furent attribués les noms de Quddus et de Tahirih. C'est par ces noms qu'ils furent appelés par le Báb dans les tablettes qu'il révéla à chacun d'entre eux. Le but secondaire de la conférence était d'étudier les moyens de libérer le Báb. Cet espoir ne put se réaliser car les partisans du Báb, lorsqu'ils quittèrent Badasht, furent forcés de se réfugier près du tombeau d'un shaykh, endroit qu'ils fortifièrent pour s'abriter contre l'animosité croissante de la population. Entre-temps Jenab-i-Bahá et Tahirih étaient rentrés à Téhéran et Mulla Husayn avait rejoint Quddus à Shaykh Tabarsi. Jenab-i-Bahá à son tour voulut également les rejoindre mais il en fut empêché par les troupes que le gouvernement avait expédiées sur place.

La lutte contre les retranchés de Shaykh Tabarsi ne dura pas moins de onze mois et il fallut plusieurs régiments pour venir à bout des quelques 300 partisans du Báb, qui réussissaient à mettre les troupes en fuite au cours de sorties audacieuses. C'est lors d'une de ces sorties que Mulla Husayn fut mortellement blessé et ramené dans le camp pour expirer dans les bras de Quddus. Finalement les ! assiégeants eurent recours à la ruse pour en finir. Ils promirent la vie sauve aux survivants en le jurant sur le Coran. Quddus et ses compagnons ne furent pas dupes, mais ils acceptèrent par respect pour le Coran. Ils furent presque tous massacrés et Quddus mourut dans d'horribles souffrances.

Ces événements de Tabarsi plongèrent le Báb dans un profond chagrin au point que pendant six mois il fut incapable d'écrire ou de dicter. D'autres massacres allaient suivre à Nayriz et à Zanjan. Le siège de cette dernière ville était encore en cours que le Premier Ministre, se passant d'un ordre du shah, ordonna au gouverneur de l'Adhirbayjan de procéder à l'exécution du Báb. Celui-ci fut amené à Tabriz pour y subir un simulacre de procès et être condamné à mort. L exécution du Báb eut lieu le 9 juillet 1850 dans la cour de la caserne de Tabriz, en présence d'une foule nombreuse massée sur les toits. Un régiment arménien, composé de 750 hommes et commandé par un chrétien, Sam Khan, fut chargé de cette mission. Sam Khan s'était confié au Báb en le suppliant qu'on le libérât de cette tâche imposée. Le Báb lui répondit: "Suivez les instructions reçues, et si vos intentions sont pures, le Tout-Puissant pourra certainement vous délivrer de votre angoisse."

Quand le moment de l'exécution fut arrivé, le serviteur en chef vint chercher le Báb en interrompant la conversation que celui-ci avait avec son secrétaire, Siyyid Husayn. Le Báb déclara: "Tant que je ne lui aurai pas dit tout ce que je désire, aucune puissance terrestre ne pourra me réduire au silence". Le Báb n'en fut pas moins amené dans la cour et suspendu à un poteau avec l'un de ses disciples, Mirza Muhammad-'Ali-i-Zunuzi, surnommé Anis. Le régiment s'aligna sur trois rangs. Chaque rang, tour à tour, ouvrit le feu jusqu'à ce que tout le détachement ait déchargé ses balles. Quand la fumée, intense au point d'obscurcir le ciel, se fut dissipée, la foule vit avec stupeur que le compagnon du Báb était indemne et brandissait les cordes qui avaient été coupées par les balles. Quant au Báb, il avait disparu. On le retrouva dans la pièce d'où on l'avait tiré, occupé à terminer l'entretien qu il avait avec Siyyid Husayn.

Sam Khan refusa de recommencer l'exécution et quitta la cour de la caserne. Le colonel du corps de garde s'offrit pour le remplacer et prit la tête d'un autre régiment qui cribla les corps de balles et les déchiqueta. Leurs visages ne furent que légèrement abîmés. Les corps furent transportés le soir même au bord du fossé situé à l'extérieur des portes de la ville. Au milieu de la nuit suivante, un disciple du Báb, Haji Sulayman Khan réussit à enlever les corps et à les cacher. Sur l'ordre de Bahá'u'lláh, ils furent amenés à Téhéran et cachés dans différents endroits jusqu'au jour où l`Abdu'l-Bahá, le fils de Bahá'u'lláh, put les faire acheminer jusqu'à Haïfa, en Terre sainte, où ils reposent maintenant dans un mausolée construit à leur intention.

L'oeuvre du Báb est considérable. Seuls quelques uns de ses écrits peuvent être mentionnés ici. La nuit de sa déclaration, fut révélé le premier chapitre du Qayyumu'l-Asma, un commentaire de la sourate de Joseph que Bahá'u'lláh appela "le premier, le plus grand et le plus puissant de tous les livres" de la dispensation Bábi. Pendant presque tout le ministère du Báb, ce livre fut considéré par les Bábis comme le nouveau Coran. Le Joseph du commentaire est la préfiguration de celui qui serait l'auteur de la dispensation suivante et qui aurait à souffrir des machinations de son propre frère. Pendant son incarcération à Mah-ku et à Chiriq, le Báb rédigea les deux : versions de son Bayan, appelle livre-mère de sa dispensation. La première version est en persan et la seconde, plus courte, est en arabe. On y trouve les lois de la nouvelle révélation, que le Báb déclara soumettre à l'approbation de Celui qu'il appelle "Celui que Dieu rendra manifeste".

C'est ainsi que le Báb se présente non seulement comme une nouvelle "porte" vers Dieu et comme la "porte" vers cette nouvelle figure eschatologique. "O confrérie des fidèles du Bayan et de tous iceux qui en font partie! Acceptez les limites qui vous sont imposées, car un être tel que le Point du Bayan lui-même a cru en Celui que Dieu rendra manifeste, avant que toutes choses ne fussent créées. C'est véritablement de cela que je me glorifie, devant tous ceux qui sont dans le royaume des cieux et sur la terre" ; ou encore "Si, au jour de sa révélation, tous ceux qui sont sur la terre lui prêtent serment, la joie entrera au plus profond de mon être puisque tous auront atteint le sommet de leur existence" (14).

Cette nouvelle révélation, le Báb l'annonce pour très bientôt. "Dans l'année neuf, vous atteindrez au bien suprême" .."dans l'année neuf, vous arriverez à la présence de Dieu" ..."Après Hin (68), une cause vous sera révélée que vous serez amenés à connaître". .. "Ce n'est qu'après l'expiration de neuf années après la naissance de cette cause que les réalités des choses créées seront rendues manifestes" .Par ailleurs, il annonce un autre délai de 19 ans: "Soyez vigilants depuis la naissance de la révélation jusqu'au nombre de Vahid (19)"..." Le Seigneur du Jour du règlement sera manifesté à la fin de Vahid et au commencement de quatre-vingts (1280 A.H.)" (14).

En conclusion, le Báb est accepté par les Bahá'ís comme l'auteur d'une révélation nouvelle. Il est une Manifestation de Dieu à part entière et a le même rang que tous les autres messagers divins. Mais en même temps, il se présente comme le précurseur d'une révélation plus importante que la sienne, "Tout ce qui a été révélé dans le Bayan n'est qu'une bague à mon doigt, et en vérité je ne suis moi-même qu une bague au doigt de Celui que Dieu rendra manifeste... Sois témoin que, par ce livre, j'ai conclu une alliance avec toutes choses créées, concernant la mission de Celui que tu rendras , manifeste, avant d'établir le covenant concernant ma propre mission"(15)

3) La naissance de la révélation baha'ie

Le porteur de cette nouvelle révélation n'est autre que Mirza Husayn 'Ali Nuri, déjà appelé Jenab-i-Bahá par le Báb et qui prendra plus tard le titre de Bahá'u'lláh, la Gloire de Dieu. Par souci de simplification, nous l'appellerons dorénavant Bahá'u'lláh.

Il est né le 12 novembre 1817 dans une famille riche et importante. Son père Mirza Abbas-i-Nuri, appelé aussi Mirza Buzurg-i-Vazir, est un descendant de Yazdigird III, dernier empereur sassanide. Bahá'u'lláh a donc une origine zoroastrienne, mais il a aussi une origine sémitique car sa famille remonte à Ketura, la troisième femme d'Abraham. La famille provient de la ville de Takur, dans le district de Nur de la province de Mazindaran.

C'est un enfant exceptionnel. Il passait plusieurs mois de l'année dans le palais de Takur où il reçoit l'éducation habituelle des gens fortunés. Il est confié à des tuteurs qui lui apprennent la calligraphie et la lecture du Coran. Toutefois, il ne fréquenta pas les écoles théologiques; son savoir sera donc inné comme le fut celui du Báb. Vers 5 ou 6 ans, il rêva qu'il était entouré par des oiseaux qui ne lui faisaient aucun mal, puis dans la mer par des poissons qui s'accrochaient aux mèches de ses cheveux. Son père demanda qu'on interprète ce songe. La mer est le monde et les poissons sont les peuples du monde. A 14 ans, sa réputation était déjà grande pour ses commentaires et ses interprétations inédites du Coran et des traditions, ainsi qu'en témoigne le Shayk Muhammad Taqi, un mujtahid très fameux de la région de Nur.

En 1835, à l'âge de 18 ans, il épousa Umu'i-Kanat, plus connue sous le nom de Asiyyih Khanum et à qui Bahá'u'lláh donna le titre de Navvab. Ils eurent sept enfants dont trois seulement survécurent. Navvab décéda en 1886 quelques années avant Bahá'u'lláh. Comme il était d'usage dans son milieu, il prit une deuxième femme en 1849, du nom de Mahdi-Ulya, appelée aussi Fatimih Khanum, et qui était sa cousine. Elle vécut jusqu'en 1904. De ce mariage naquirent trois fils et une fille. Cette deuxième famille était destinée à jouer un rôle néfaste dans l'histoire de la foi.

Nous avons vu comment Bahá'u'lláh accepta la déclaration du Báb à l'âge de 27 ans. Il abandonna tout pour se consacrer à la cause du Báb. Il fit de nombreuses conversions dans sa propre famille et aussi parmi des personnages importants. Après le meurtre du beau-père de Tahirih par un shaykhi fanatique, le mari de Tahirih essaya d'accuser les Bábis dont plusieurs furent arrêtés. Bahá'u'lláh n'hésita pas pour leur rendre visite et à les aider. Il fut lui-même arrêté pour la première fois. Mais l'innocence des Bábis fut prouvée par les aveux du véritable meurtrier et Bahá'u'lláh fut relâché.

Après la conférence de Badasht où l'influence de Bahá'u'lláh fut prépondérante, les Bábis furent attaqués à Niyala. C'est encore Bahá'u'lláh qui réussit à les protéger et à leur faire rendre ce qui leur avait été dérobé. Bahá'u'lláh retourna vers Nur en visitant les villes et les villages. Le Premier Ministre, Mirza Aqasi avait réussi à obtenir de Muhammad Shah un ordre d'arrestation de Bahá'u'lláh. Cet ordre parvint à: Bahá'u'lláh alors qu'il était l'hôte de notables à Bandar-Jaz où l'agent consulaire russe lui offrit un passage sur un bateau qui se rendait en Russie. Mais Bahá'u'lláh refusa. C'est alors qu'un messager apporta la nouvelle de la mort du Shah, ce qui rendait l'ordre caduque. Quand il apprit que les Bábis s'étaient retranchés à Tabarsi, Bahá'u'lláh leur rendit visite où il fut reçu avec un profond respect par Mulla Husayn. A ce moment Quddus était retenu prisonnier à Sari. Bahá'u'lláh obtint sa libération ce qui permit à Quddus de rejoindre Mulla Husayn à Tabarsi. Bahá'u'lláh quitta la forteresse en promettant de revenir bientôt. Mais la tentative de cette deuxième visite échoua alors que Bahá'u'lláh n'était plus qu'à 9 miles de Tabarsi.

Bahá'u'lláh fut conduit à Amul par une troupe importante; le Vice-gouverneur obtint sa libération et Bahá'u'lláh put repartir pour Nur et ensuite Téhéran où il reçut plusieurs Bábis importants tels que Vahid avant le départ de celui-ci pour Nayriz, Mirza 'Aliy-i-Sayyah, le courrier du Báb, Mulla 'Abdu'l-Karim-i-Qazvini, qui lui apportait l'écritoire que le Báb lui avait légué, Mulla Muhammad-i-Zandari, connu sous le nom de Nabil-i-Azam et qui écrivit une histoire du Báb et de Bahá'u'lláh. Ce dernier joua aussi un rôle important pour sauver les restes du Báb.

Après le martyre du Báb, Bahá'u'lláh fut reçu par le nouveau Grand Vizir, Mirza Taqi Khan. Celui-ci était persuadé que les Bábis résistaient à cause du soutien accordé par Bahá'u'lláh. Il lui offrit donc un poste important, celui de Chef de la Cour, mais Bahá'u'lláh refusa. Le Premier Ministre lui demanda alors de s'éloigner pour un temps. Bahá'u'lláh accepta et il se rendit en pèlerinage dans les villes saintes d'Iraq. Il arriva à Karbila en octobre 1851, où il rencontra Shaykh Hasan-i-Zunuzi qui avait servi de secrétaire au Báb à Mah-ku et Chiriq et à qui le Báb avait promis qu'il rencontrerait à Karbila le Husayn promis.

En Perse, le premier ministre, Mirza Taqi Khan, déchu, avait été remplacé par Mirza Aqa Khan. Mirza Taqi Khan est le grand responsable des massacres des Bábis à Tabarsi, Nayriz et Zanjan et de la mort du Báb. Il fut sans doute un réformateur zélé et efficace, introduisant en Perse plusieurs systèmes occidentaux d'éducation et de journalisme. Il n'avait cependant rien d'un démocrate car c'était un véritable tyran. Mirza Aqa Khan, le nouveau premier ministre, n'était pas hostile à Bahá'u'lláh. Il lui écrivit pour le prier de rentrer à Téhéran.

Entre-temps un groupe de Bábis irresponsables formèrent le projet d'assassiner le shah, projet qui échoua lamentablement tellement les conjurés étaient mal préparés. Ils se rendirent à Niyavaran où le shah chassait et le 15 août 1852, les conjurés qui étaient trois certainement, peut-être plus car on ne connaît pas leur nombre exact, tentèrent leur coup avec des pistolets et des poignards mal adaptés. Le shah ne fut que légèrement blessé. Quant aux trois Bábis, ils furent massacrés sur place. Ce fut le signal d'une chasse générale aux Bábis, à l'instigation surtout de la mère du shah. 38 Bábis importants furent arrêtés dans la maison de Haji Sulayman Khan et emprisonné dans le Siyah-Chal à Téhéran. Bahá'u'lláh qui était rentré de Karbila séjournait à Afjih chez le frère du premier ministre. Celui-ci le fit prévenir et l'informa aussi de l'hostilité particulière de la reine-mère à son égard. Les amis de Bahá'u'lláh s'offrirent de le cacher, mais il refusa. Au contraire il partit pour se rendre à la Cour en vue de disculper les amis. Il s'arrêta d'abord chez son beau-frère qui était secrétaire du Prince Dolgorouki, ministre plénipotentiaire russe. Celui-ci offrit à Bahá'u'lláh l'hospitalité de la Russie qui fut également déclinée. Lorsque le shah apprit où se trouvait Bahá'u'lláh, il ordonna de l'arrêter et c'est ainsi que Bahá'u'lláh, fut traîné, nus pieds et sans couvre chef par une chaleur intense jusqu'à la cour. Il fut lui aussi jeté dans la fosse noire du Siyah-Chal où se trouvaient déjà une quarantaine de Bábis, mais aussi une centaine de prisonniers de droit commun.

La Reine-mère voulait l'inculpation de Bahá'u'lláh, mais le prince Dolgorouki obtint qu'une enquête soit menée qui établit l'innocence de Bahá'u'lláh dans cette tentative d'assassinat. Le séjour de Bahá'u'lláh dans cette prison dura quatre mois dans des conditions d'hygiène et de souffrances inimaginables. Bahá'u'lláh portait autour de son cou des chaînes pesant jusqu'à cinquante kilos. Il en conservera la marque jusqu'à la fin de ses jours. L'angoisse aussi était indescriptible car on venait chercher de temps en temps un prisonnier pour l'exécuter sans autre forme de procès. Le fils aîné de Bahá'u'lláh, `Abdu'l-Bahá, avait neuf ans à cette époque et chaque jour, il se rendait à la prison, mandé par sa mère, pour aller s'enquérir si Bahá'u'lláh vivait encore. Un jour il fut autorisé à entrer dans la prison accompagné d'un garde. Dès que Bahá'u'lláh aperçut l'enfant descendant les marches de l'escalier qui était l'unique voie d'accès et de lumière, il cria qu'on l'emmène immédiatement car il ne voulait pas être vu par son fils dans l'état où il se trouvait. C'était trop tard, l'enfant avait eu le temps de voir son père et cette image sera marquée dans sa mémoire pour le reste de ses jours.

Ce séjour dans la prison du Siyah-Chal est un des événements majeurs de la vie de Bahá'u'lláh. C est au cours de ce moment d'intense désespoir que la révélation descendit sur lui, comme il en témoigne lui-même dans la Suratu'I-Haykal (Sourate du Temple) et dans la lettre à Nasiri'd-Din Shah. "O Roi! Je n'étais qu'un homme comme les autres, endormi sur ma couche, et voici que les brises du Très-Glorieux ont soufflé sur moi et m'ont donné la connaissance de tout ce qui a été. Cela ne vient pas de moi mais de Celui qui est tout-puissant et omniscient" (15)..."Tandis que je sombrais sous le poids des afflictions, j'entendis au-dessus de ma tête, une voix merveilleuse et infiniment douce qui m'appelait. Levant les yeux j'aperçus une créature virginale -personnification du nom de mon Seigneur - qui flottait dans l'espace devant moi...montrant ma tête du doigt, elle s'adressa à tous ceux qui sont au ciel et à tous ceux qui sont sur la terre, en ces termes: Au nom de Dieu, voici le Bien-aimé des mondes et cependant vous ne le comprenez pas. Voici la Beauté de Dieu parmi vous, et la puissance de sa souveraineté en vous, si seulement vous pouviez le comprendre. Celui-ci est le mystère de Dieu et son trésor, la cause de Dieu et sa gloire pour tous ceux qui sont dans les royaumes de la révélation et de la création, si vous êtes de ceux qui perçoivent". (15)

"En vérité, nous te rendrons victorieux par toi-même et par ta plume. Ne t'afflige pas à cause de ce qui t'est arrivé et ne sois pas effrayé, car tu es en sécurité. Bientôt Dieu fera paraître les trésors de la terre: des hommes qui t'aideront par toi-même et par ton nom, avec lesquels Dieu a ranimé les coeurs de ceux qui l'ont reconnu ." ( 15)

On ne sait pas à quel moment précis, cette certitude d'être Celui que Dieu a choisi, c'est-à-dire Celui que Dieu doit manifester selon les termes employés par le Báb, s'est imposée à Bahá'u'lláh. On sait seulement que cela s'est passé pendant le séjour de quatre mois dans le Siyah-Chal.

Le shah dut se résoudre à libérer Bahá'u'lláh après les résultats de l'enquête exigée par le représentant russe. Il n'en ordonna pas moins le bannissement à vie de Bahá'u'lláh qui avait un mois pour quitter la Perse. Mirza Aqa Khan envoya chercher Bahá'u'lláh qui refusa le manteau qu'on lui offrait et choisit de comparaître dans ses habits de prisonnier devant le Premier Ministre. Tous les biens de Bahá'u'lláh avaient été confisqués, il n'avait donc plus de maison et il était trop faible pour prendre le chemin de l'exil. Il se rendit chez son demi-frère, l'époux de sa cousine Maryam qui devint plus tard une fidèle disciple et qui était aussi la soeur de sa deuxième femme. Quant à la famille de Bahá'u'lláh, elle avait trouvé refuge dans un quartier obscur de la capitale.

Le 12 janvier 1853, Bahá'u'lláh et sa famille, son frère Mirza Musa et son demi-frère Mirza Muhammad-Quli accompagnés d'un représentant du gouvernement iranien et d'un officiel de la légation russe, prirent la route de Baghdad où ils arrivèrent le 3 avril 1853 après un voyage éprouvant au coeur de l'hiver et à travers les montagnes du Kurdistan.

A peine installé à Baghdad, Bahá'u'lláh est rejoint par son demi-frère, Mirza Yahya de treize ans son cadet. Celui-ci avait été élevé par Bahá'u'lláh, car leur père était mort alors que Mirza Yahya était encore un enfant. Bahá'u'lláh lui avait enseigné la cause du Báb et c'est Mirza Yahya, qui sur le conseil de Bahá'u'lláh, avait été désigné nominalement par le Báb pour prendre la tête de la communauté après sa mort qu'il savait imrl1inente. Le mystère de la désignation de ce jeune homme n'était connu que de deux personnes en dehors du Báb: Bahá'u'lláh qui en était l'inspirateur et Mulla 'Abdu'I-Kazim-i-Qazvini qui avait servi de secrétaire au Báb et qui avait apporté l'écritoire du Báb à Bahá'u'lláh. Il s'agissait de détourner de Bahá'u'lláh l'attention des autorités pour protéger ce dernier devenu trop célèbre à Téhéran.

Mirza Yahya était un être craintif, très soucieux de se protéger. Depuis la mort du Báb et les persécutions dont faisaient l'objet les Bábis, il se cachait dans les montagnes. Il s'empressa de rejoindre son frère à Baghdad en lui demandant que son incognito soit sauvegardé. Cette attitude privait de direction une communauté déjà tellement éprouvée par la disparition des principaux disciples. Ceux qui cherchaient à obtenir des directives, ne les trouvaient Ras auprès de Mirza Yahya. Ils s'adressaient donc à Bahá'u'lláh dont le prestige et l'autorité étaient communément acceptés, bien que le véritable rang de Bahá'u'lláh fut encore un secret pour tous. Mirza Yahya en était jaloux mais il aurait sans doute supporté cette situation s'il n avait pas été influencé par un petit groupe d'ambitieux qui supportaient mal l'ascendant que prenait Bahá'u'lláh sur tous ceux qui l'approchaient. Parmi ces gens, d'ailleurs très peu nombreux, il faut retenir le nom de Siyyid Muhammad-i-Isfahani car il sera le principal instigateur de l'opposition à Bahá'u'lláh qui prendra plus tard une tournure dramatique.

Bahá'u'lláh supportait très mal cette jalousie de son demi- frère car il y voyait l'amorce d'une scission dans les rangs des Bábis. Aussi décida-t-il de quitter Baghdad pour vivre en solitaire dans les montagnes du Kurdistan. Le 10 avril 1854, Bahá'u'lláh quitta Baghdad sans dire à personne où il allait. Les habitants de ces montagnes l'appelèrent darvish Muhammad-i-Irani et son souvenir est encore présent aujourd'hui parmi les descendants de ces populations. Bahá'u'lláh attira malgré lui l'attention de certains ordres soufis établis dans cette région proche de Sulaymaniyyih. Ce fut l'occasion de la révélation de quelques tablettes d'une grande profondeur spirituelle où Bahá'u'lláh évoque la gloire du Très grand Esprit de Dieu qui descend sur lui.

A Baghdad la situation de la communauté Bábie se dégradait de plus en plus. Par une série de circonstances, la famille de Bahá'u'lláh eut connaissance de l'existence de ce darvish au savoir exceptionnel vivant en ermite dans les montagnes. Elle dépêcha des émissaires pour prier Bahá'u'lláh de rentrer à Baghdad, ce qu'il fit le 19 mars 1856, soit après une absence de deux années.

"Nous n'avons trouvé qu'une poignée d'âmes, faibles et déprimées, et même complètement perdues et mortes. La cause de Dieu n'était plus sur aucune lèvre, et nul coeur n'était réceptif à son message" ..."Par Dieu, au-dessus duquel il n' y a pas d'autre Dieu, si je ne m'étais pas rendu compte du fait que la cause bénie du premier Point était à la veille de disparaître complètement, et que tout le sang sacré répandu sur le chemin de Dieu serait versé en vain, je n aurais nullement consenti à retourner parmi le peuple du Bayan, et je l'aurais abandonné au culte des idoles que son imagination avait créées" (17).

Certains Bábis éminents, déçus de ne trouver aucun soutien dans leur chef désigné qu'ils ne pouvaient même pas approcher, allèrent jusqu à déclarer qu ils étaient Celui que le Báb avait annoncé. On en dénombra au moins 25, ce qui provoqua des factions se heurtant les unes aux autres. Dès son retour, l'autorité spirituelle de Bahá'u'lláh ne tarda pas à se faire sentir tant sur les membres de la petite communauté que sur ceux qui avaient l'habitude de conspuer les Bábis lorsqu'ils s'aventuraient dans le bazar. Quelques uns de ceux qui s'étaient proclamés "Celui que Dieu doit rendre manifeste" , confessèrent leur erreur et se rangèrent parmi les compagnons les plus fervents de Bahá'u'lláh. Plusieurs personnalités de haut rang, dont des princes persans et des officiels ottomans recherchèrent la présence de Bahá'u'lláh. Deux gouverneurs de Baghdad, Mustafa Nuri Pasha et Namiq Pasha, le tenaient en très grande estime.

Beaucoup d' Ulama reconnaissaient le savoir inexplicable de Bahá'u'lláh du fait qu'il n'avait reçu aucune instruction pour justifier un tel savoir, mais ils refusaient d'accepter la religion nouvelle. Seul un miracle pourrait à leurs yeux justifier son rang. Bahá'u'lláh leur répondit que personne n'avait le droit de tester Dieu en demandant un miracle. Pourtant il était prêt à accéder à leur demande à condition qu'ils se mettent d'accord sur le miracle à accomplir et s'engagent à reconnaître la vérité de la nouvelle cause. Les ulama n'osèrent pas prendre un tel engagement.

Cet ascendant que prenait Bahá'u'lláh sur la plupart de ceux qu'il rencontrait, rendait très nerveux le consul persan à Baghdad, Mirza Buzurg Khan, d'autant plus qu'un personnage intrigant venait d'arriver, Shaykh 'Abdu'l-Husayn-i-Tihrani, envoyé sous le prétexte de veiller à la réparation des tombeaux des Imams, en réalité pour l'éloigner de la cour ses intrigues n'étaient plus supportées. Ces deux êtres ambitieux unirent leurs efforts pour nuire à Bahá'u'lláh. Ils essayèrent d'abord d'obtenir l'appui du gouverneur, Mustapha Nuri Pasha, qui refusa d'intervenir. Ils essayèrent aussi de faire assassiner Bahá'u'lláh, mais le brigand recruté fut incapable d'accomplir son forfait dès qu'il fut en sa présence. Ils s'adressèrent alors à l'ambassadeur persan à Istanbul, Haji Mirza Husayn Khan, en faisant valoir qu'il était dangereux d'avoir un personnage de l'influence de Bahá'u'lláh si près des frontières de la Perse à cause surtout du nombre de personnes qui venaient de la région mais aussi de la Perse pour rencontrer Bahá'u'lláh. L'ambassadeur s'adressa au Ministre des Affaires étrangères à Téhéran pour obtenir des instructions. Le sultan de Turquie fut approché. Les autorités persanes espéraient que la Turquie renverrait Bahá'u'lláh en Perse où elles pourraient en finir, mais le sultan avait reçu du gouverneur de Baghdad, des rapports favorables à Bahá'u'lláh. Finalement le sultan, 'Abdu'l-Majid, forcé de donner une certaine satisfaction aux persans, invita Bahá'u'lláh à venir à la cour à Istanbul. C'était apparemment une invitation, mais en fait il s'agissait d'un ordre impérial qui embarrassa le nouveau gouverneur, Namiq pasha au point qu'il se passa près de trois mois avant qu'il ne se résolve, après avoir reçu plusieurs rappels, à en informer Bahá'u'lláh.

La communauté de Baghdad s'était rassemblée pour fêter le Naw Ruz de l'année 1863. Dix ans s'étaient écoulés depuis l'arrivée à Baghdad. Les Bábis étaient joyeux, ils avaient un guide, ils étaient considérés par la plupart des gens et étaient unis dans leur amour pour Bahá'u'lláh. Les petites intrigues de Mirza Yahya et de Siyyid Muhammad ne les affectaient pas beaucoup. Pourtant au cours de la fête de Naw Ruz, Bahá'u'lláh révéla une tablette, appelée la tablette du Saint Marinier, qui, après une évocation mystique de l'action de l'Esprit Saint, fait allusion à des souffrances à venir. C'est alors que l'émissaire du gouverneur se présenta avec l'ordre du sultan; le gouverneur n'avait pas eu le courage de venir lui-même. Bahá'u'lláh indiqua d'abord qu'il se rendrait seul à l'invitation de la cour, ce qui consternait son entourage, mais les autorités insistèrent pour que toute la famille soit du voyage, ainsi que des compagnons. Il était clair que c'était un voyage sans retour, en quelque sorte un nouveau bannissement, malgré le ton affable et courtois du document et l'aide qui était offerte pour les dépenses du voyage. Bahá'u'lláh refusa la somme offerte. Forcé d'accepter, il la distribua aux pauvres de la ville. Outre la famille, quelques 25 personnes devaient être du voyage. Ainsi se terminaient les dix premières années de l'exil de Bahá'u'lláh.

Ce furent des années fertiles car la littérature baha'ie est riche de nombreuses tablettes datant de cette époque. Trois ouvrages cependant sont à mettre en avant parce qu'ils touchent trois aspects importants de l'enseignement baha'i:

- la mystique avec les Sept Vallées et les Quatre Vallées.

- la spiritualité, l'éthique et la morale avec les Paroles cachées.

- la théologie avec le Livre de la Certitude.
4) La déclaration dans le jardin de Ridvan

Les préparatifs du départ furent finalement entrepris. Bahá'u'lláh quitta sa maison de Baghdad le 22 avril 1863 pour se rendre sur les berges du Tigre où une embarcation l'attendait pour le transporter sur l'autre rive et gagner le jardin mis à sa disposition par Najib pasha, d'où le nom Najibiyyih, appelé plus tard jardin du Ridvan (Paradis). Najib pasha avait mis ce jardin à la disposition de Bahá'u'lláh car trop de personnes se pressaient à la porte de sa maison qui était trop petite pour les recevoir tous. Avant de s'embarquer Bahá'u'lláh s'adressa à ses compagnons: "0 mes compagnons, je vous confie la tâche de garder cette ville de Baghdad dans l'état où vous la voyez aujourd'hui, alors que, comme les pluies au printemps, des pleurs coulent des yeux des étrangers et des amis qui se pressent sur les toits des maisons, dans les rues et sur les marchés et que je m'en vais. Il vous appartient maintenant de veiller afin que vos actes et votre conduite n'affaiblissent pas la flamme d'amour qui brille dans le coeur de ses habitants" (18).

Bahá'u'lláh était accompagné de trois de ses fils: `Abdu'l-Bahá (18 ans), Mirza Mihdi (14) et Muhammad 'Ali (10), ainsi que de son secrétaire, Mirza Aqa Jan. Il y avait aussi d'autres croyants dont l'identité n'est pas toujours clairement établie. Nabil-i-Azam donne une liste de 20 personnes, mais elle ne semble pas être complète.

Siyyid Muhammad devait rester à Baghdad en raison de toutes les intrigues qu'il avait fomentées pour inciter Mirza Yahya à s'opposer à Bahá'u'lláh. Mais, selon Aqa Rida, il en appela à `Abdu'l-Bahá pour intervenir auprès de Bahá'u'lláh afin d'être autorisé à se joindre à la caravane. Finalement Bahá'u'lláh donna son consentement. Siyyid Muhammad, ainsi que Mulla Muhammad-Ja'far-i-Naraqi avaient été désignés comme "témoins du Bayan" par Mirza Yahya, alors qu'ils tenaient Mirza Yahya en peu d'estime. Mirza Yahya, une fois informé du prochain départ de Bahá'u'lláh, prit peur comme à son habitude et s'enfuit de Bagdad, sans en informer ses "témoins". Mirza Yahya rejoignit la caravane aux environs de Mossoul et fut finalement autorisé par Bahá'u'lláh, à se joindre aux exilés.

Sur le trajet de la maison au jardin, une foule se pressait pour faire ses adieux. La plupart n'avait aucun lien avec les Bábis ou les Bahá'ís. Tous déploraient le départ de celui qu'ils vénéraient, certains accusant ouvertement le shah, Nasiri'd-Din, d'être responsable de l'exil de Bahá'u'lláh. Tout se passait contrairement à ce que les ennemis de Bahá'u'lláh avaient espéré; les autorités marquaient une déférence , exceptionnelle. C'est ainsi que lorsque `Abdu'l-Bahá et Aqay-i-Kalim, Mirza Musa, le frère de Bahá'u'lláh, rendirent visite à Namiq Pasha, sur les instructions de Bahá'u'lláh, ils reçurent une réception vraiment royale. Namiq Pasha lui-même écrivit à Bahá'u'lláh au sujet de l'attitude du Consul général persan et ses acolytes: "Auparavant ils insistaient pour que vous partiez, maintenant ils insistent davantage pour que vous restiez ."

Bahá'u'lláh resta 12 jours dans le jardin au cours desquels, il reçut la visite de nombreux disciples et admirateurs. C'était le printemps et le jardin était rempli de fleurs, des roses notamment que Bahá'u'lláh évoquera fréquemment dans ses écrits. Chaque jour, en effet, il révélait une tablette que Mirza Aqa Jan chantait aux amis rassemblés. Nous ne connaissons pas les détails de la déclaration de Bahá'u'lláh, cependant selon une causerie donnée par `Abdu'l-Bahá à Bahji le 29 avril 1916, Bahá'u'lláh déclara sa mission à ses compagnons dès le premier jour et annonça avec beaucoup de joie l'inauguration du festival de Ridvan. Cette déclaration était attendue par beaucoup de compagnons de Bahá'u'lláh, non seulement à cause des nombreuses allusions qui se trouvent dans les écrits de la période de Baghdad comme les 7 vallées, les Paroles cachées ou le Livre de la Certitude, mais aussi parce que le comportement de Bahá'u'lláh s'était modifié au cours des derniers mois.

Selon une tablette écrite par Mirza Aqa Jan, adressée à un certain Aqa Muhammad-Rida, Bahá'u'lláh fit également trois déclarations importantes le premier jour de son séjour dans le Jardin de Ridvan :

- Bahá'u'lláh interdit le port de tout type d'armes.

- Il annonça qu'il n'y aurait pas de nouvelle Manifestation de Dieu avant une période d'au moins mille ans. Cette déclaration fut confirmée plus tard dans le Kitáb-i-Badi et dans le Kitáb-i-Aqdas.

- Il déclara que maintenant tous les noms et attributs de Dieu étaient pleinement manifestés dans les choses créées, ce qui impliquait l'avènement d'un nouveau Jour et d'une nouvelle capacité en toutes choses.

La signification de la déclaration fut soulignée plus tard par Bahá'u'lláh dans une tablette appelée tablette du Ridvan: "Dis, Il est la manifestation de Celui qui est l'Inconnaissable et l'Invisible, puissiez-vous le comprendre C'est lui qui est le Bien-Aimé de toutes choses, tant du passé que de l'avenir. Puissiez-vous mettre en lui votre coeur et vos espérances!...Attire à toi, par la voix de Celui qui est l'unique Bien-Aimé, les coeurs de tous les hommes. Dis: Voici la voix de Dieu, si vous pouvez l'entendre. Voici l'aurore de la révélation de Dieu, si vous pouvez la voir. Voici l'aube de la cause de Dieu, si vous êtes capables de la reconnaître. Voici la source des commandements de Dieu, si vous pouviez en juger avec équité..." (19).

Le séjour dans le jardin de Ridvan dura douze jours. Ce n'est que le neuvième jour que le reste de la famille de Bahá'u'lláh, le rejoignit et le départ fut fixé pour le douzième jour. Namiq Pasha ; le gouverneur, promit qu'il protégerait les compagnons de Bahá'u'lláh, restés à Baghdad. Il rédigea aussi une lettre à l'intention de tous les officiels pour que ceux-ci accordent toute l'aide possible aux voyageurs sur leur longue route vers Constantinople.

5) Constantinople

`Abdu'l-Bahá donne un récit du voyage, publié dans Star of the West, vol. XIII, pages 277-278: "Souvent, de jour ou de nuit, nous parcourions la distance de 25 à 30 miles. Aussitôt un caravansérail atteint, chacun s'allongeait, mort de fatigue et s'endormait: Chacun avait atteint un état d'épuisement tel qu'il était incapable de tout mouvement". Mais lui-même n'avait souvent que très peu ou même pas du tout de repos car il prenait sur lui de veiller que le groupe important, animaux inclus, soit nourri et pourvu de tout ce qui était nécessaire.

Le trajet de Baghdad à Samsun sur la mer noire fut couvert en 22 étapes et en quelques cent-dix jours. A Salahiyyih (4e étape) le Qa'im-Maqam (gouverneur local) et d'autre notables vinrent au-devant de la caravane non seulement pour accueillir et saluer les voyageurs, mais pour les inviter à un véritable festival en leur honneur.

A cause de la chaleur de la journée, la caravane cheminait souvent la nuit. Parfois il faisait si noir que certains s'égaraient comme Aqa Rida, qui, une nuit entre Salahiyyih et Dust-Khurmatu, s'endormit d'épuisement sur le bord de la route. S'étant réveillé cinq heures après, il se retrouva tout seul. Personne ne s'était rendu compte de son absence en raison de l'obscurité. Il déambula pendant des heures avant de retrouver la caravane. A Karkuk, ils atteignirent le pays kurde. Des personnages importants vinrent saluer Bahá'u'lláh, à la grande perplexité de quelques uns comme Siyyid Muhammad-i-Isfahani.

Mirza Yahya déguisé et accompagné d'un arabe du nom de Zahir se trouvait déjà à Mosul. Bahá'u'lláh avait dit à Mirza Yahya qu'il était prêt à intervenir auprès du gouverneur, Namiq Pasha, pour qu'il puisse l'accompagner à condition que ce soit au-grand jour. Mirza Yahya qui était trop effrayé par la perspective d'être découvert et d'être l'objet de mesures de la part des autorités persanes et ottomanes, avait décliné cette offre, préférant s'enfuir caché sous un faux nom et sous un déguisement. Seuls Mirza Aqa Jan et Siyyid Muhammad-i-Isfahani savaient qui il était. Tout le monde le prenait pour un voyageur juif qui s'était joint à la caravane pour voyager en sécurité.

La caravane atteignit la mer noire à Samsun. Arrivé en vue de la mer, Mirza Aqa Jan supplia Bahá'u'lláh de leur faire l'honneur d'une nouvelle tablette. Ce fut la Suriy-i-Hawdaj qui mettait une fin digne et puissante à cet exode. Ils restèrent huit jours à Samsun attendant le vapeur qui devait les conduire à Istanbul. Celui-ci jeta l'ancre dans le port d'Istanbul après trois jours de traversée, le dimanche 16 août 1863.

Après leur débarquement, Bahá'u'lláh et sa famille furent conduits dans une maison de Shamsi Big, près de la mosquée Khiriqiy-i-Sharif (manteau) où était conservé un manteau qui était sensé avoir appartenu au prophète Muhammad et ramené d'Egypte en 1517 par Selim I. Ce manteau était le signe de l'autorité du calife. La maison de Shamsi Big était trop petite pour accueillir toute la famille bien que Shamsi Big fasse de son mieux pour remplir ses devoirs d'hôte.

Le lendemain de leur arrivée, un représentant de l'ambassadeur de Perse qui était Haji Mirza Husayn Khan, vint présenter les respect de l'ambassadeur qui s'excusait de ne pouvoir venir en personne. D'autre hauts dignitaire vinrent également et on fit remarquer à Bahá'u'lláh qu'il était coutume qu'un visiteur important se présente au Ministère des Affaire étrangères dans les trois jours. Celui-ci l'introduirait auprès du Premier Ministre qui, à son tour, obtiendrait pour lui une audience du Sultan. Bahá'u'lláh s'y refusa catégoriquement en disant qu'il n'avait rien demander, ni à proposer. Il était venu à leur invitation et il attendrait donc qu'on lui fasse signe si on souhaitait quelque chose de lui.

Beaucoup de personnalités venaient voir Bahá'u'lláh, notamment un certain Haji Mirza Safa qui se prétendait être un mursid (guide spirituel sufi) et à qui Bahá'u'lláh parla avec beaucoup d'autorité, car ce Mirza Safa se révéla peu sincère et était une connaissance intime de l'ambassadeur.

Après un mois environ, une autre demeure plus important put être mise à la disposition de Bahá'u'lláh et de sa famille. C'était un palais de trois étage, possédant un "biruni" (quartier des hommes) et un andaruni (quartier des femmes), avec un jardin intérieur et dans le biruni un bain turc.

Les visiteurs continuaient à affluer, des notables, même des ministres, certains en secret. Mirza Yahya et ses complices suppliaient Bahá'u'lláh de solliciter des faveurs et de se prosterner devant l'oppresseur. Pus tard l'ambassadeur lui-même rendit témoignage de l'attitude digne de Bahá'u'lláh et déclara qu'il aurait souhaité voir ses compatriotes se comporter comme Bahá'u'lláh car à cette époque, des princes et des descendants Qajar se présentaient à la Sublime Porte pour obtenir de l'argent et des pensions, si bien que les autorités ottomanes "en vinrent à considérer les Persans comme ne sachant pas se conduire.

Un jour, Shamsi Big apporta la nouvelle d'un transfert possible à Andrinople. Ils s'agissait, en fait d'un bannissement, ordonné par le Sultan 'Abdu'l-Azis et ses ministres 'Ali-Pasha, le Premier Ministre et Fu'ad pasha, le Ministre des Affaires étrangères et suggéré avec insistance par l'ambassadeur de Perse. Bahá'u'lláh s'insurgea contre cet acte injuste et déclara notamment avec autorité à Haji Mirza Safa, qui faisait partie du complot contre Bahá'u'lláh: "Nous ne sommes qu un petit groupe, mais nous sommes prêts a connaître la mort des martyrs". Comme Mirza Safa essayait de lui expliquer qu'on ne s'opposait pas à un ordre du gouvernement, Bahá'u'lláh lui répondit: "vous essayez de m'intimider... Je me vois assis sur le trône de Puissance et d'Autorité. Ce fut toujours le lot des Manifestations de Dieu de connaître l'injustice et l'oppression, mais les mesures répressives n'ont jamais pu les empêcher de délivrer le message qui leur était confié par Dieu."

Bahá'u'lláh envoya une communication au Sultan dont nous ne possédons malheureusement pas le texte et qui peut être considérée comme la première proclamation de Bahá'u'lláh. Ce document fut remis par Shamsi Big au pacha 'Ali, le premier ministre. "J'ignore ce que contenait cette lettre" , raconta plus tard Shamsi Big "mais à peine le grand vizir en eut-il pris connaissance qu il devint pâle comme un mort et remarqua:

"C'est comme si le Roi des rois donnait ses ordres à son roi vassal le plus humble et lui dictait sa conduite" (20).

C'est alors que Mirza Yahya, Siyyid Muhammad et Mirza Ahmad cherchèrent à sauver leur vie, en déclarant que l'attitude de Bahá'u'lláh entraînerait leur famille dans leur martyre. Comme Bahá'u'lláh se rendait compte qu'une division risquait de se produire parmi son entourage, il consentit à quitter Istanbul, mais déclara: "Ils nous ont appelés ici, en qualité d'invités et quoique totalement innocents, ils se tournent contre nous avec un esprit de vengeance. Si nous avions persisté dans notre attitude de souffrir le martyre, l'effet de ce martyre aurait été ressenti dans tous les mondes de Dieu. Peut-être même que rien ne nous serait arrivé."

Pendant le séjour à Constantinople, Bahá'u'lláh mentionna pour la première fois la nécessité de choisir une langue universelle comme deuxième langue. Il le déclara à Kamal pasha (un ancien premier ministre), ainsi qu'il nous le rapporte dans l'épître au Fils du Loup.

6) Andrinople

Pour Bahá'u'lláh, Andrinople est la prison lointaine (the most remote prison, ainsi qu'il l'appelle dans la tablette d'Ahmad). La cité conquise à des tribus thraces par les Macédoniens, fut rebâtie sous Hadrien et appelée Hadrianopolis, elle fut finalement capturée par les Turcs en 1362 et devint la capitale de l'empire ottoman de 1413 à 1458.

Le trajet dut s'accomplir par un froid rigoureux et certains périrent des suites du gel.

A leur, arrivée, les exilés furent logés dans un caravansérail, le Khan-i-'Arab, où ils restèrent pendant trois nuits dans des conditions de confort très rudimentaire.

Bahá'u'lláh et sa famille furent ensuite logés dans une maison du quartier Muradiyyih, près de la mosquée construite par le sultan Murad. La plupart des compagnons de Bahá'u'lláh durent rester au caravansérail où il fallait leur apporter des repas préparés dans la maison de Bahá'u'lláh.

Le froid était toujours intense, comme on n'en avait pas connu depuis 40 ans. Les bains publics étaient fermés et les sources étaient gelées. Pour obtenir de l'eau, il fallait allumer des feux et attendre que la glace fonde.

La première maison étant trop petite pour toute la famille, celle-ci fut transférée dans une maison plus grande dans le même quartier, à proximité d'un Takyih (séminaire sufi) de Mawlavis (ordre mystique sufi remontant à Jalali'd-Din-i-Rumi ce qui permit à ceux qui avaient dû rester dans le caravansérail d'occuper la maison que Bahá'u'lláh quittait. Dans le même quartier une troisième maison fut louée pour Aqay-i-Kalim, Mirza Yahya et leur famille. Toutes ces maisons étaient vieilles, sans confort et difficiles à chauffer.

De nombreuses tablettes furent envoyées aux Bábis de cette maison du quartier Muradiyyih (voir Lawh-i-Sayyah, Lawh-i- Nuqtih). Beaucoup de Bábis reconnurent Bahá'u'lláh à l'exception de 9uelques uns comme Siyyid Muhammad-i-Isfahani et Mirza Ahmad-i-Kaibani qui incitaient Mirza Yahya à affirmer sa propre autorité.

Après une dizaine de mois, Bahá'u'lláh dit à Mirza Mahmud-i-Kashani: priez pour que Dieu nous permette de trouver une maison plus spacieuse. En quelques jours, une autre maison fut trouvée dans le quartier de la mosquée du sultan Salim, au

coeur même de la ville, une maison appelée Amru'llah (la Cause de Dieu). Bahá'u'lláh déclara que c'était la réponse aux prières de Mirza Mahmud. L'andaruni (quartier intérieur) avait trois étages et trente pièces. Bahá'u'lláh et sa famille occupèrent le troisième étage. Mirza Muhammad-Quli, le second tandis que plusieurs serviteurs occupaient le rez-de-chaussée. Le Buruni (quartier extérieur) avait quatre ou cinq belles pièces à l'étage. Elles servirent de réception et de pièces pour la préparation des rafraîchissements. Le reste des compagnons occupa l'étage moyen. Deux autres maison furent louées à proximité, l'une pour Aqay-i-Kalim et sa famille; l'autre pour Mirza Yahya et les siens.

Bahá'u'lláh conseilla à ses compagnons d'ouvrir des magasins et de s'engager dans le commerce afin de gagner leur vie et d'avoir une occupation utile. Quelques uns restèrent exclusivement au service de Bahá'u'lláh. Ceux qui avaient des occupations vaquaient à celles-ci pendant la journée, puis se réunissaient le soir auprès de Bahá'u'lláh. Une fois de plus, Siyyid Muhammad-i-Isfahani et Mirza 'Ahmad-i-Kashani s'abstinrent de suivre les conseils de Bahá'u'lláh et restèrent inactifs. Leur véritable nature perverse commençait à se dévoiler au grand jour.

Les amis qui se réunissaient le soir dans le buruni, chantaient des prières révélées par le Báb car les signes de la rébellion de Mirza Yahya devenaient de plus en plus évidents. Environ une année s'était écoulée lorsque celle-ci éclata au grand jour. Mirza Yahya se résolut à éliminer Bahá'u'lláh par le poison. Il se mit à inviter Bahá'u'lláh chez lui, contrairement à son habitude. Il s'informa auprès de Aqay-i-Kalim, sous divers prétextes, de l'effet de certaines herbes et substances médicinales. Un jour il concocta une mixture qu'il servit dans le thé de Bahá'u'lláh. Celui-ci faillit en mourir et selon les dires de Bahá'u'lláh lui-même, son médecin, le Dr Shishman, un chrétien, offrit sa vie pour que celle de Bahá'u'lláh soit épargnée. Le médecin mourut effectivement après avoir indiqué que le Dr Chupan prendrait la relève. Bahá'u'lláh resta malade près d'un mois et conserva un tremblement des mains jusqu'à la fin de ses jours. Cela est visible dans les Ecrits de sa main après cette période. Par la suite Mirza Yahya essaya d'empoisonner le puits qui alimentait la famille en eau, ainsi qu'en a témoigné une de ses femmes (Badri-Jan). Pour essayer de se justifier, Mirza Yahya expliqua que Bahá'u'lláh s'était empoisonné lui-même en prenant par inadvertance des aliments qu'il avait empoisonnés et que Mirza Yahya avait refuses lorsqu'ils lui avaient été présentés.

La maladie de Bahá'u'lláh privait les amis de sa présence car ils n'osaient pas demander l'autorisation de lui rendre visite. Ce fut Bahá'u'lláh qui les appela à son chevet alors qu'il était encore très faible. Un jour qu'ils étaient venus le voir, j il leur demanda des nouvelles d'un de leurs compagnons qui était malade. Ils répondirent qu'ils étaient venus directement sans lui rendre visite. Bahá'u'lláh leur dit qu'ils avaient tort et qu'ils auraient dû rendre visite d'abord à leur ami avant de venir le voir. Bahá'u'lláh voulait leur enseigner l'art de s'inquiéter les uns des autres et de s'entraider.

L'animosité de Mirza Yahya grandissait car les affronts ne lui étaient pas épargnés. Un jour Shaykh Salman lui demanda de faire un commentaire sur un vers de Sa'di. Ce commentaire était tellement vide que cela rendait Mirza Yahya ridicule, même aux yeux de Siyyid Muhammad qui ne se cachait pas pour se moquer de lui. Il continuait d'ailleurs à essayer de cacher son identité. A Shamsi Big, qui avait été leur hôte officiel à Istanbul, il se présentait comme un serviteur de Bahá'u'lláh. Souvent, il résidait dans les quartiers des serviteurs bien qu'il eut une maison à sa disposition.

N'ayant pas réussi par le poison, Mirza Yahya tenta d'acheter le barbier de Bahá'u'lláh pour que celui-ci l'assassine. Le barbier, Ustad Muhammad-'Aliy-i-Salmani, décrivit l'incident dans ses mémoires". Pendant près de trois mois, Mirza Yahya essaya de se concilier Salmani en se plaignant de Bahá'u'lláh, avant de demander ouvertement au barbier de lui trancher la gorge. Salmani fut si furieux qu'il voulait exécuter Mirza Yahya. Ce fut Bahá'u'lláh lui-même qui dut le calmer en lui demandant de taire l'incident. Mais Salmani ne put se taire. Il prit tous les écrits de Mirza Yahya en sa possession et les brûla ostensiblement devant les compagnons étonnés. "J'avais de l'estime pour Mirza Yahya, dit-il. Maintenant, il est moins qu'un chien pour moi."

C'est alors que Bahá'u'lláh prit la décision de signifier à son demi-frère son rang de "Celui que Dieu doit manifester" annoncé par le Báb. Il révéla Lawh-i-Amr (tablette du commandement) qu'il fit porter à Mirza Yahya par Mirza Aqa Jan. Mirza Yahya demanda une journée de réflexion. En réponse Mirza Yahya déclara que c'était lui qui était porteur d'une révélation indépendante en indiquant l'heure et la minute à laquelle la révélation lui avait été faite.

Cette crise consacrait la séparation définitive de Bahá'u'lláh et de son demi-frère. Bahá'u'lláh appelle ces jours, les jours de détresse (Ayyam-i-Sbidad) pendant lesquels "le voile le plus atroce" fut déchiré et "la plus grande séparation" fut décrétée.

Pour marquer celle-ci, Bahá'u'lláh quitta la maison d' Amru'llah pour s'installer ailleurs, dans la maison de Rida-Big (10 mars 1866). Pendant deux mois, Bahá'u'lláh refusa de rencontrer qui que ce soit y compris ses compagnons.

Mirza Yahya essaya tout d'abord d'obtenir le soutien des Bábis en Perse. Il envoya Haji Ibrahim-i-Kâshi avec des lettres et des instructions en ce sens. Très vite, Haji Ibrahim se rendit compte de l'ineptie des arguments avancés par Mirza Yahya et de la haine que contenaient ces écrits. Il regretta son association avec Mirza Yahya et rejoignit les compagnons de Bahá'u'lláh.

Voyant que ses efforts ne produisaient aucun résultat, Mirza Yahya envoya une de ses femmes chez le gouverneur pour se plaindre que Bahá'u'lláh les laissait mourir de faim. (le fils de cette femme et de Mirza Yahya, Mirza Ahmad, vint auprès d' `Abdu'l-Bahá à Haïfa et acheva sa vie paisiblement dans la maison des pèlerins sur le mont Carmel. Le Gardien demandait aux pèlerins de ne pas parler de Mirza Yahya devant lui pour ne pas lui causer de chagrin). Cette accusation était sans fondement car chacun recevait sa part de la pension versée par le gouvernement, y compris Siyyid Muhammad-i-Isfahani. Lorsque plus tard, on reprocha à Mirza Yahya d'avoir entrepris une telle démarche, sans fondement, il déclara que cela s'était fait à son insu et à l'initiative de Siyyid Muhammad.

Mirza Yahya essaya de se concilier le nouveau gouverneur, Khurshid Pasha ainsi que le vice-gouverneur, 'Aziz pasha. Celui- ci était un admirateur d' `Abdu'l-Bahá'í qui était encore un jeune homme d'une vingtaine d'années. (Cette admiration continua plus tard lorsque Aziz pasha fut nommé Vali (Gouverneur Général d'une province) à Beyrouth d'où il rendit deux fois visite à Bahá'u'lláh pour lui présenter ses hommages). Les lettres pleines de flatterie répugnante, adressées par Mirza Yaha au gouverneur furent montrées à `Abdu'l-Bahá. Ce fut pour Bahá'u'lláh le signal de la fin de sa réclusion. "Nous nous sommes imposé cette retraite afin que le feu de l'hostilité puisse s'éteindre et que des actes honteux soient évités, mais ils se sont livrés à des actions plus virulentes...Le temps ordonné est fini."

Entre-temps, les compagnons avaient trouvé des maisons dans le voisinage, notamment Aqa Riga qui pouvait ainsi accueillir les pèlerins venant de Perse en nombre de plus en plus grand. Bahá'u'lláh annonçait cependant que cette situation n'allait pas durer, que l'on verrait aussi la défaite de tous les opposants et ennemis de la cause. "Il doit être évident pour tous que nous n'avons accepté ces calamités et de devenir captif que pour la gloire de la cause de Dieu et que pour témoigner de la vérité de sa parole".

De nombreuses tablettes furent révélées pendant ces jours, si nombreuses que les fils de Bahá'u'lláh et Mirza Aqa Jan ne suffisaient pas à les retranscrire:

- Lawh-i-Baha, sans doute avant la retraite dans la maison de Rida Big

- Lawh-i-Ru'h
- Lawh-i-Laylatu'I-Quds
- Suriy-i-Ashab
- Lawh-i-'Ahmad (arabe et persan)
- Suriy-i-Damm
- Lawh-i-Ashraf
- Surihs of Hajj
- Lawh-i-Nasir
- Lawh-i-Khalil
- Lawh-i-Siraj
- Suriy-i-Ibad
- Lawh-i-Salman

La maison d' 'Amru'llah avait été louée par Aziz pasha. Lorsqu'elle redevint libre, Bahá'u'lláh s'y installa à nouveau, mais pour peu de temps car elle fut vendue par le propriétaire. Bahá'u'lláh s'installa finalement dans la maison d'Izzat Aqa, dans un autre quartier de la ville. Ce fut la dernière résidence de Bahá'u'lláh à Andrinople.

C'est à cette époque (Septembre 1867) que se place l'incident de la confrontation avortée. Un certain Mir Muhammad avait réussi à convaincre Siyyid Muhammad de la nécessité d'une confrontation entre Bahá'u'lláh et Mirza Yahya. Ce dernier, persuadé que Bahá'u'lláh refuserait, fixa la rencontre dans la mosquée du Sultan Salim. Aussitôt informé, Bahá'u'lláh se rendit à pied vers cette mosquée, accompagné de Mir Muhammad, de Mirza Aqa Jan et e quelques autres compagnons, tout en récitant des versets à haute voix. Mirza Yahya ne vint pas au rendez-vous mais fit savoir qu'il demandait que la réunion soit postposée de quelques jours. Bahá'u'lláh rentra chez lui et révéla une tablette qu il confia à Mulla Muhammad-i-Tabrazi, par l'intermédiaire de Nabil afin qu'elle, soit remise à Siyyid Muhammad. Dans cette tablette, Bahá'u'lláh demandait un engagement écrit de Mirza Yahya de comparaître et de reconnaître que toutes ses assertions étaient fausses s'il ne venait pas à la rencontre. Siyyid Muhammad promit que le document serait envoyé dans les quelques. jours à suivre. Mais il n'y eut aucune suite. Mirza Yahya eut encore l'audace d'affirmer par la suite que c'était Bahá'u'lláh qui ne s'était pas présenté à la rencontre projetée.

Parmi les admirateurs de Bahá'u'lláh se trouvait le gouverneur, Khurshid pasha. Celui-ci espérait que Bahá'u'lláh accepterait son invitation de venir au palais du Gouvernement. Le gouverneur avait organisé une soirée à l'intention des religieux et des personnalités importantes. Il demanda à `Abdu'l-Bahá d'intervenir pour que son père accepte d'honorer la fête de sa présence, ce qui fut accordé. Tous furent sous l'emprise de la majesté et du savoir de Bahá'u'lláh à qui les plus grands érudits posèrent leurs questions avec humilité et respect. Toutes reçurent une réponse pleine d'autorité et de puissance.

Pendant le séjour de Bahá'u'lláh dans la maison d'Izzat Aqa, des tablettes importantes furent écrite

- Suriy-i-Muluk
- Kitáb-i-Badi
- Lawh-i-Sultan
- Première tablette à Napoléon III.
- Suriy-i-QL1u~n
7) De Andrinople à Akka

Les convulsions apportées dans la communauté par l'attitude de Mirza Yahya, ajoutées à d'autres facteurs, furent le prélude à un nouvel exil pour Bahá'u'lláh.

Des changements importants s'étaient produits à l'intérieur de la communauté. C'est à cette époque que la salutation Allah-u- Akbar fut remplacée par Allah-u-Abha.

A Baghdad, plusieurs Bahá'ís furent arrêtés et exilés à Mosul. A Andrinople, le nombre des Bahá'ís augmentait par l'arrivée de plusieurs fidèles dont Mirza Zaynu'l-'Abidin. Cette augmentation du nombre des croyants commençait à inquiéter les autorités.

C'est alors que vint la nouvelle de l'arrestation en Egypte de Haji Mirza Haydar-'Ali et de son exil au Soudan. Bahá'u'lláh envoya Nabil-i-A'zam au Caire où il fut également arrêté et déporté. Celui-ci venait de rentrer de ses deux pèlerinages à Shiraz et à Baghdad. A Shiraz Nabil avait rencontré Mulla Baqir-i-Tabrizi, une des dernières Lettres du Vivant encore en vie, ainsi que la veuve du Báb. Tous deux reconnurent Bahá'u'lláh.

Mirza 'Aliy-i-Sayyah, Mishkin-Qalam et Aqa Jamshid-i-Gurjj quittèrent Andrinople par Istanbul où leur renommée leur permit de devenir proches de l'ambassadeur de Perse, Haji Mirza Husayn Khan. Ils eurent l'imprudence de parler trop ouvertement de la cause, ce qui joua aussi un rôle dans les événements qui vont suivre.

Bahá'u'lláh avait reçu trois chevaux d'un disciple de Baghdad. Comme leur entretien eût coûté trop cher, il envoya les chevaux à Istanbul pour les vendre. La délégation était composée de Darvish Sidq-'AIi, Aqa Muhammad Baqir et 'Ustad Muhammad-i- Salmani.

Siyyid Muhammad-i-Isfahani, aidé d'un ancien officier de l'armée turque, Aqa Jan Big, répandaient de faux bruits à la cour, en rédigeant des lettres anonymes. Ceci provoqua l'arrestation des deux groupes de Bahá'ís, celui de Mishkin-Qalam et celui de Salman. Au début les deux groupes furent interrogés séparément surtout sur la question de savoir si Bahá'u'lláh prétendait être le Mahdi. Leur réponse négative, - ce rang était celui du Báb et non celui de Bahá'u'lláh -rendit les autorités perplexes. Leurs papiers et livres furent examinés et rien de séditieux ne fut trouvé. Entre-temps, Siyyid Muhammad et Aqa Jan Big furent également arrêtés, tombant victimes de leur propre machination.

A Andrinople, la situation se dégradait également. Des Bahá'ís étaient appelés dans les quartiers gouvernementaux et n'étaient jamais sûrs de rentrer chez eux. Aussi Bahá'u'lláh conseilla-t- il à beaucoup de quitter Andrinople car il ne servait à rien de se faire arrêter. Le propriétaire de la maison où habitait Bahá'u'lláh, le pasha Izzat Aqa, était sans soute un espion à la solde du gouvernement et le renseignait sur les allées et venues trop nombreuses. Le ministre des Affaires Etrangères se rendit sur place car on avait répandu la calomnie que Bahá'u'lláh préparait une insurrection avec la complicité des Bulgares. Le rapport de Fu'âd pasha fut défavorable, car il constata le rayonnement qu'avait Bahá'u'lláh auprès du gouverneur; des représentants de Puissances étrangères et des notables d Andrinople.

Tous ces facteurs conjugués amenèrent les autorités à décréter un exil tant pour les Bahá'ís que pour les azalis. Bahá'u'lláh fut banni à 'Akka' et Mirza Yahya à Chypre. Lorsqu'il apprit cette décision Kurshid pasha refusa de s'y associer et en informa Bahá'u'lláh. Il quitta Andrinople, laissant au vice-gouverneur la tâche de régler cette question.

Un matin des soldats vinrent cerner la maison de Bahá'u'lláh. Le même jour les Bahá'ís qui avaient des magasins et des commerces furent arrêtés et conduits au Palais gouvernemental où ils furent interrogés pour leur faire déclarer qu'ils. étaient Bahá'ís. Leurs biens furent confisqués et vendus aux enchères. Toute cette agitation ameuta les gens du quartier qui s'étonnaient qu'on puisse inquiéter des gens qui n'avaient fait preuve que d'honnêteté, de fraternité et de piété. Des consuls de puissances étrangères se présentèrent et furent admis en présence de Bahá'u'lláh. Ils promirent de faire intervenir leur gouvernement pour que justice soit faite, mais Bahá'u'lláh déclina cette offre: "vous désirez que je vous donne l'autorisation de m'apporter secours, mais mon secours est dans les mains de Dieu. Mon recours est Dieu et vers Lui seul, je me tourne."

Les Bahá'ís étaient désespérés de ne pouvoir accompagner Bahá'u'lláh dans son nouveau bannissement et de devoir rester éloignés de lui. Haji Ja'far Taqi se trancha la gorge car il préférait mourir que d'être séparé de Bahá'u'lláh, ainsi qu'il le déclara après avoir été soigné et sauvé. Les biens des Bahá'ís furent vendus à des prix dérisoires; certains furent forcés d'abandonner leurs femmes dont les familles ne permettaient pas qu'elles les accompagnent en exil. Au bout d'une semaine environ, les bagages avaient été rassemblés et le départ pouvait être organisé.

Bahá'u'lláh sortit de la maison et alla à la rencontre de ses voisins et des gens du quartier qui s'étaient rassemblés pour lui faire leurs adieux. Ils vinrent, l'un après l'autre, pour lui baiser la main ou le pan de son vêtement, pour exprimer leur chagrin. On était le 12 août 1868.

La caravane se mit en route et gagna Gallipoli en cinq étapes. Bahá'u'lláh quittait "la Plus lointaine prison" et "le pays du mystère". A Gallipoli Bahá'u'lláh et sa famille furent logés à l'étage d'une maison, -tandis que certains de ses compagnons trouvaient refuge au rez-de-chaussée. Mirza Yahya et Siyyid Muhammad se virent attribuer une autre maison et plusieurs disciples, dont Sayyah et Mishkin-Qalam arrivés d'Istanbul furent loges dans une auberge. Quant à Salmani et Aqa Jamshid, ils furent déportés en Perse, conduits à la frontière et mis aux mains des kurdes qui les libérèrent aussitôt. Ils se mirent immédiatement en route pour rejoindre 'Akka' par un autre chemin.

C'est sur le chemin de Gallipoli, à Kashani, que fut révélée la Suriy-i-Ra'is. "Le jour approche où le Pays du Mystère (Andrinople) et tout ce qui s'y trouve seront changés, et seront enlevés des mains du Roi. Des troubles vont survenir et la voix de lamentation sera élevée et les preuves du méfait seront révélées de toutes parts. La confusion se répandit à cause de ce qui est advenu à ces captifs des mains des hôtes de l'oppression. Le cours des choses sera changé, les conditions deviendront si terribles que le sable même des collines désolées se lamentera et que les arbres de la montagne pleureront et que le sang coulera de toutes choses. Alors tu verras le peuple dans une détresse douloureuse."

Dix ans plus tard, le Sultan 'Abdu'l-Aziz perdait son trône et sa vie. La guerre russo-turque de 1877-78, qui amena les russes et les bulgares aux portes de Constantinople, provoqua d'immenses souffrances dans ces territoires qui avaient vu la captivité de Bahá'u'lláh. Deux conséquences importantes sont à signaler. En Perse, un érudit de tout premier plan fut convaincu de la vérité du rang de Bahá'u'lláh par l'accomplissement des prophéties du Suriy-i-Ra'is et devint un ardent défenseur de Bahá'u'lláh, Mirza 'Abu'I-Fadl-i-Gulpaygani. En Angleterre, un jeune orientaliste eut son attention également attirée par ces événements et se mit à étudier l'histoire des Bábis et des Bahá'ís: Ed. Granville Browne.

Après trois jours à Gallipoli, le colonel 'Umar Effendi annonça que seuls ceux qui étaient mentionnés sur la liste des exilés seraient envoyés ensemble aux frais du gouvernement. Les autres étaient libres de se joindre en payant leur passage et seraient donc des exilés volontaires. Les autorités furent surprises du nombre de ceux qui présentèrent le billet de passage qu'ils avaient acheté pour ne pas être séparés de Bahá'u'lláh.

La mer était très forte et la traversée dangereuse. Après deux journées de navigation, on arriva à Alexandrie où Nabil-i-Azam était prisonnier. Il avait été envoyé par Bahá'u'lláh pour intervenir en faveur de Mirza Haydar Ali, emprisonné au Soudan avec six autres croyants. Personne ne savait où était Nabil. Un des compagnons de Bahá'u'lláh, envoyé à terre pour acheter des provisions, passa près de la prison. Nabil qui se trouvait sur le toit, le reconnut et l'appela. Il apprit ainsi que Bahá'u'lláh se trouvait tout près de lui, ce qui le plongea dans une profonde tristesse. Un médecin chrétien qu'il avait converti, Faris, le trouva en pleurs et apprit ainsi la présence de Bahá'u'lláh. Ils décidèrent d écrire et chargèrent un jeune homme de remettre leurs lettres en mains propres à `Abdu'l-Bahá ou à Mirza Aqa Jan. Le bateau avait déjà levé l'ancre et quittait le port lorsque le capitaine le fit stopper voyant une embarcation venir vers eux. C'est ainsi que les lettres furent remises et qu'une réponse leur fut envoyée dans laquelle le docteur Faris est particulièrement mentionné.

La prochaine étape était Port Sa'id. Le jour suivant au coucher du soleil, le bateau atteignit Jaffa d'où il partit à minuit en direction de Haïfa. C'est de là qu'on embarqua Mirza Yahya vers Chypre. Quatre Bahá'ís avaient été exilés également à Chypre: Mishkin-Qalam, Mirza 'Aliy-i-Sayyah, Aqa Muhammad Baqir et Aqa 'Abdu'l-Ghaffar. Ce dernier se jeta dans la mer avec l'intention de se noyer, mais il fut sauvé. Il put ensuite s'échapper de Chypre et rejoindre la Syrie.

8) La période d'Akka

Un bateau à voile emmena les prisonniers de Haïfa à 'Akka' où ils débarquèrent dans l'après-midi du 31 août 1868. Ils furent dirigés vers la prison que Bahc4'u'llâh a appelé "la plus grande prison". Bahá'u'lláh et sa famille (20) reçurent des chambres dans la partie nord-ouest, tandis que les compagnons étaient logés dans d'autres sections de la prison. Siyyid Muhammad et Aqa Jan Big, tous deux partisans de Mirza Yahya et forcés par les autorités de se ~oindre aux Bahá'ís, sans doute pour les espionner, avaient d abord été logés dans la prison puis ils furent autorisés à occuper une chambre située près de la

deuxième porte de la ville. La liste des prisonniers comprend environ 70 personnes.

La vie était extrêmement pénible pour les prisonniers, victimes de maladies, comme la malaria ou la dysenterie. C'est surtout `Abdu'l-Bahá, aidé de Mirza Musa et Aqa Rida, qui prenait soin de chacun veillant sur la nourriture et la boisson. Trois exilés moururent rapidement, Aqa Abu'l-Qasim-i-Sultanabadi et les deux frères, Ustad Baqir et Ustad Isma'il-i-Kbayyat. Personne ne pouvait s'occuper de leurs funérailles et Bahá'u'lláh dut vendre un tapis pour payer les dépenses réclamées par les gardes, qui empochèrent l'argent et enterrèrent les corps dans leurs vêtements.

L'édit du Sultan, daté du 26 juillet 1868, ordonnait le plus strict emprisonnement, interdisant tout contact avec la population. Les autorités espéraient que Bahá'u'lláh et sa famille ne survivraient pas à un tel régime. Un an après leur arrivée, l'ambassadeur de Perse écrivait encore à Téhéran qu'il avait renouvelé les instructions et chargé le Consul Général de Damas de vérifier si celles-ci étaient appliquées. Mais déjà à ce moment, les autorités locales répugnaient de plus en plus de faire une stricte application de ces instructions.

L'hostilité montrée par la population à l'arrivée des exilés faisait déjà place progressivement au respect et à la révérence. Cela était dû surtout au comportement d' `Abdu'l-Bahá. Celui-ci attendait chaque jour à la porte de la citadelle, le retour de ceux qui avaient été chargés d'aller acheter de la nourriture afin de l'inspecter et de rejeter tout ce qui aurait pu nuire à la santé des prisonniers. Il y eut des cas désespérés, comme celui de Mirza Ja'far-i-Yazdi. Un médecin chrétien qui avait été mandé pour l'examiner, prit son pouls et déclara qu'il était mourant. Bahá'u'lláh révéla une prière et dit à Mirza Musa de ne pas désespérer et Mirza Ja'far se rétablit. `Abdu'l-Bahá lui-même tomba si malade que tous désespéraient de le sauver.

Les Bahá'ís en Iran, avaient finalement appris que Bahá'u'lláh était incarcéré à 'Akka'. Plusieurs entreprirent le voyage dans l'espoir de le rencontrer. Dans la plupart des cas, ils étaient dénoncés par les deux azalis qui logeaient à l'entrée de la ville et ils étaient expulsés. Le premier à réussir à voir Bahá'u'lláh fut Haji Abu'l-Hasan-i-Ardikani, surnommé Amin-i-Ilahi pour qui une rencontre fut arrangée dans le bain public à la condition qu'il ne donne aucun signe de reconnaissance. Un autre croyant, Ustad Isma'il-i-Kashi, arrivé de Mosul ne put voir Bahá'u'lláh car sa vue était trop mauvaise et dut se réfugier à Haïfa chez Khalil Mansr qui fut le premier Bahá'í à s'établir à Haïfa. Ce jour-là, le neveu de Abu'I-Hasan, Aqa Husayn se trouvait en présence de Bahá'u'lláh et se lamentait sur le sort de tous ceux qui venaient et ne pouvaient, comme son oncle, voir Bahá'u'lláh. Celui-ci le consola et promit que bientôt les portes de la prison s'ouvriraient.

Plusieurs personnes vinrent s'établir à Haïfa ou dans les environs. Nabil-i-Azam avait été libéré en Egypte, il se rendit à Chypre où il appris le sort des Bahá'ís. De là, il vint vers 'Akka mais fut intercepté par les autorités. De loin, il put apercevoir Bahá'u'lláh qui avait été prévenu de sa présence et qui lui faisait signe de la main par la fenêtre de la prison. Nabil séjourna à Haïfa, en Galilée et même à Hébron jusqu'au jour où il put être admis dans la prison. Aqa Muhammad-'Aliy-i-Qa'ini avait rencontré Bahá'u'lláh à Téhéran. Lorsqu'il fut informé de la déclaration de Bahá'u'lláh, il crut immédiatement en lui. Il avait été un personnage riche et puissant, mais il abandonna tout pour rejoindre Bahá'u'lláh. Il s'établit à Nazareth comme pauvre colporteur. Il convertit un jeune chrétien, 'Abdu'llah Effendi qui fit une compilation d'écritures juives et chrétiennes concernant la venue de Bahá'u'lláh. 'Abdu'llah Effendi occupa un poste important dans l'administration et se laissa corrompre comme tous les fonctionnaires de l'époque, ce qui attrista beaucoup `Abdu'l-Bahá.

C'est à cette époque (23 juin 1870) que Mirza Mihdi, la Branche la Plus pure, le frère cadet d' `Abdu'l-Bahá, eut un accident qui lui coûta la vie. Absorbé dans ses méditations, il tomba par une ouverture dans le toit et se transperça les côtes sur un cageot en bois à l'étage inférieur. Un médecin italien fut appelé mais ne put rien faire. Le blessé reposait courageusement et s'excusait auprès des visiteurs qui venaient à son chevet, de ne pouvoir se lever. Aqa Husayn-i-Ashchi rapporte le court dialogue entre Bahá'u'lláh et son fils: "Aqa, que désires-tu? Dis-moi !", "Je désire que le peuple de Bahá puisse accéder à votre présence", " Ainsi en sera-t-il. Dieu accomplira ton voeu". Mirza Mihdi. rendit son dernier soupir quelques vingt-quatre heures après sa chute. Shaykh Mahmud demanda à `Abdu'l-Bahá la permission de préparer le corps avec quelques compagnons. Le chagrin d' `Abdu'l-Bahá était indescriptible et pouvait se lire sur son visage. Les notables de 'Akka' se joignirent au cortège pour les funérailles. Mirza Mihdi avait été un secrétaire fidèle pour son père pendant les quelques années de sa jeune vie terminée à 22 ans.

Quatre mois après la mort de la Plus pure Branche, les portes de la prison s'ouvrirent. Bahá'u'lláh et sa famille furent transférés dans la maison de Malik à 'Akka' car le gouvernement avait besoin des bâtiments de la forteresse four loger des troupes. La plupart des compagnons de Bahá'u'lláh furent logés dans un caravansérail à proximité. Celui-ci servit de maison de pèlerinage pour les premiers pèlerins qui vinrent à 'Akka'. Des personnages importants y séjournèrent comme Mishkin-Qalam, Zaynu'l-Muqarrabin, Mirza Haydar-Ali (21). Apres trois mois, Bahá'u'lláh fut logé dans la maison située en face, la maison de Mansur Khavvam pour un court séjour avant d'être transféré à la maison de Rabi'ih. Après quatre mois, Bahá'u'lláh dut déménager à nouveau pour occuper la maison d'Udi Khammar. Celui-ci était un chrétien maronite, un notable de la ville d''Akka. C'était une double maison dont la deuxième partie était occupée far le neveu d' Udi Khammar, Ilyas Abbud. Ce dernier voyait d un très mauvais oeil la proximité de la famille de Bahá'u'lláh, d'autant plus qu'un événement tragique allait renforcer ses appréhensions et l'inciter à renforcer la cloison qui séparait les deux parties de la maison (22).

Deux azalis avaient été exilés à 'Akka' avec les Bahá'ís. Il s'agissait de Siyyid Muhammad-i-Isfahani, qui avait été l'âme damnée de Mirza Yahya à Baghdad et Andrinople et Aqa Jan-i-Kaj-Kulah qui avait aidé Muhammad-i-Isfahani dans les démarches auprès du gouvernement à Istanbul, démarches qui avaient provoqué l'exil des Bahá'ís et des azalis. Comme ils logeaient à côté de la porte qui donnait accès à la ville, ils dénonçaient aux autorités ceux qui voulaient approcher Bahá'u'lláh. Ils avaient été rejoints par Mirza Rida-Quli, le frère de Badri-Jan, une des épouses de Mirza Yahya qui avait refusé de le suivre à Chypre et s'était également jointe aux exilés d' 'Akka'. Rida-Quli rassembla une série d'écrits de Bahá'u'lláh et les falsifia par des interpolations afin de les rendre en apparence hérétiques, anti-sociaux et provocateurs.

Cette situation fut ressentie comme intolérable par les compagnons de Bahá'u'lláh. Sept d'entre eux, passant outre des conseils de patience donnés par Bahá'u'lláh, résolurent de faire périr ces trois ennemis. Cet assassinat eut des conséquences désastreuses. Il provoqua un tel tumulte dans la ville qu'un groupe de personnes, comprenant le Gouverneur, le Chef de la police, se dirigèrent vers la maison de Bahá'u'lláh. Un officier, accompagné d'Ilyas Abbud, pénétra dans la maison , et pria `Abdu'l-Bahá et ceux qui étaient avec lui de les accompagner au Palais du Gouverneur. De même Bahá'u'lláh fut invité à se joindre à eux.

Quand Bahá'u'lláh pénétra dans la salle du Palais, le Gouverneur, Salih Pasha, le Chef de la police, Salim Mulik, ainsi que les autres officiels se levèrent ! avec respect. Bahá'u'lláh alla s'asseoir à la place d'honneur dans un profond silence jusqu'à ce que le Commandant de la garnison demande: "Est-il convenable que vos hommes commettent un acte aussi honteux?" Ce à quoi Bahá'u'lláh répondit: "Si un soldat sous votre commandement enfreint un règlement, serez-vous tenu pour responsable et puni pour cela?" Bahá'u'lláh et `Abdu'l-Bahá, ainsi que vint-cinq autres personnes furent emprisonnés. Le gouverneur de la ville demanda des instructions au gouverneur de Syrie après avoir câblé le récit des événements. Le gouverneur de Syrie réprimanda le gouverneur de la ville d'avoir pris de telles mesures à l'encontre de Bahá'u'lláh. Celui-ci fut alors amené devant le gouverneur.

Shoghi Effendi nous en décrit l'événement. "Lors de son interrogatoire, on lui demanda de décliner son nom et celui du pays d'où il venait. "Ceci est plus évident que le soleil" répondit-il. On lui posa de nouveau la même question à laquelle il donna cette réponse: "Je ne juge pas à propos d'en parler. Reportez-vous au farman du gouvernement qui se trouve entre vos mains." Une fois de plus, avec une déférence marquée, ils réitérèrent leur demande, sur quoi Bahá'u'lláh prononça, avec puissance et majesté, ces paroles: "Mon nom est Bahá'u'lláh (Lumière de Dieu), et mon pays est Nur (Lumière). Soyez-en informés." Se tournant alors vers le mufti, il lui adressa des reproches voilés, puis il parla à toute l'assemblée dans un langage si véhément et si élevé que nul n'osa lui répondre. Après avoir cité des versets de la Suriy-i-Muluk (23), il se leva et quitta l'assemblée. Aussitôt après le gouverneur lui fit savoir qu'il était libre de retourner chez lui, en exprimant ses regrets sur ce qui s'était passé." (24)

Les sept Bahá'ís qui étaient responsables du meurtre furent emprisonnés et restèrent sept ans en prison, tandis que seize autres compagnons de Bahá'u'lláh furent détenus pendant six mois. Il en résulta un accroissement de l'hostilité des habitants de 'Akka envers les exilés qui se trouvèrent dans une situation humiliante, angoissante et dangereuse. Même les enfants n'étaient pas épargnés. Il fallut la patience et la générosité d' `Abdu'l-Bahá envers la population pour que progressivement l'innocence de Bahá'u'lláh fut acceptée par toutes les couches de la population. Le gouverneur avait été remplacé par un homme perspicace et humain, Ahmad Big Tawfiq et les fonctionnaires responsables du prolongement de l'emprisonnement des seize compagnons innocents, avaient été renvoyés. Le gouverneur avait demandé de la littérature à la suggestion de gens mal intentionnés qui espéraient que celle-ci indisposerait le gouverneur. Au contraire, celui-ci fut , favorablement influencé et se mit à fréquenter `Abdu'l-Bahá, et lui confier son fils pour qu'il l'éclaire et l'instruise. Au cours d'une entrevue que le gouverneur obtint de Bahá'u'lláh, celui-ci lui conseilla de faire réparer l'aqueduc hors d'usage depuis trente ans. Le gouverneur s'empressa de suivre ce conseil qui modifia l'état sanitaire de la ville.

Malgré la rigueur de l'édit du sultan, le gouverneur s'opposa à peine à la visite des pèlerins. Le mufti d' 'Akka, Shaykh Mahmud, qui avait d'abord été très hostile aux exilés, se convertit et fit une compilation des traditions musulmanes relatives à 'Akka. Les gouverneurs qui se succédèrent, furent de plus en plus favorables aux exilés, à l'exception du Pasha 'Abdu'r-Rahman qui décida de porter un coup décisif à la réputation des exilés. Il reçut l'avis de sa destitution le jour même où il voulut mettre son plan à exécution. Le pacha Mustafa Diya, devenu gouverneur déclara à Bahá'u'lláh qu'il était libre de quitter la ville, ce que celui-ci refusa de faire à cette époque. Le pacha 'Aziz, ancien gouverneur d'Andrinople et qui s'était attaché à Bahá'u'lláh, devint gouverneur de Syrie. IL lui rendit deux fois visite pour lui présenter ses respects. Ilyas Abbud fut conquis à son tour, il fit détruire la cloison qu'il avait érigée entre les deux parties de la maison et mit même des chambres supplémentaires à la disposition de la famille de Baha'u'11ah, notamment pour `Abdu'l-Bahá qui venait de se marier. Finalement Abbud mit toute la maison à la disposition de Bahá'u'lláh qui put occuper une chambre donnant sur la mer.

C'est dans cette maison d' Abbud que Bahá'u'lláh, dans le courant de l'année 1873, termina son Très saint Livre, Kitáb-i-Aqdas, qui contient l'essence même de sa proclamation au monde, achève la série des lettres adressées aux Souverains de l'époque, définit son rang de Manifestation de Dieu, promise par toutes les écritures, établit son alliance avec ses disciples par la désignation d' `Abdu'l-Bahá comme son successeur et interprète de ses écrits, jette les fondations de son ordre administratif et énonce les lois de la nouvelle dispensation.

Depuis neuf ans, Bahá'u'lláh n'avait plus vu un coin de verdure alors qu'il disait que la campagne est le monde de l'âme alors que la ville est le monde des corps. `Abdu'l-Bahá entreprit de convaincre son père de quitter la ville. Lui-même avait plusieurs fois quitté les murs sans être inquiété. Un certain Muhammad Pasha Safwat, un homme déjà âgé, possédait un palais appelé Mazra'ih. qu'il laissait vide car il ne s'y plaisait pas et préférait vivre à Akka près de ses amis. `Abdu'l-Bahá alla le trouver malgré le fait qu'il s'était jusque là montré hostile aux exilés et lui demanda de pouvoir occuper le palais. Le Pasha très étonné, finit par a céder à la demande d' `Abdu'l-Bahá et même loua le palais pour cinq ans, moyennant une somme modique. Le palais fut réparé et `Abdu'l-Bahá obtint finalement de Bahá'u'lláh qu'il accepte de s'établir à Mazra'ih en juin 1877. C'était un endroit paisible, en dehors des bruits de la ville. La propriété a été acquise par la communauté baha'ie et est aujourd'hui un lieu de pèlerinage comme l'est un autre endroit situé un peu en dehors de la ville d' 'Akka. Il s'agit du jardin de Na'mayn dans une petite île entourée par les deux bras d'une rivière qui se jette dans la mer à est de la ville. Une petite maison accueillait parfois Bahá'u'lláh lors de courts séjours de repos. Bahá'u'lláh avait annoncé que les jours les plus sombres auraient une fin et qu'il planterait un jour sa tente sur le mont Carmel.

En septembre 1879, `Abdu'l-Bahá put louer et plus tard acquérir une autre demeure pour son père. Situé à mi-chemin entre 'Akka et Mazra'ih, le palais de Bahji (Délice) avait été construit par Udi Khammar qui y mourut d'une épidémie en 1879. L'endroit était renommé pour sa beauté et Bahá u'llah put y couler des jours paisibles. Il lui arrivait aussi de planter sa tente dans des jardins remplis de fleurs qui étaient situés dans les environs d' 'Akka, ou de rendre visite à son frère et son demi- frère qui résidaient à Akka. Dr J.E.Esslemont nous décrit la vie à Bahji. "Les offrandes de centaines de milliers de disciples dévoués mirent à sa disposition des sommes importantes qu'il fut appelé à administrer. Bien que sa vie à Bahji ait été décrite comme vraiment royale, au sens le plus élevé du terme, toutefois il ne faut pas s'imaginer qu'elle l'était par la splendeur matérielle et l'extravagance. La Perfection bénie et sa famille vivaient d'une façon très simple, très modeste, et toutes les dépenses destinées à satisfaire un luxe égoïste étaient exclues de la maison."(25)

Pendant toute cette période, `Abdu'l-Bahá résidait à 'Akka dans la maison d' 'Abbud avec sa mère et sa soeur. Il y reçut notamment le Mufti de Nazareth, Shaykh Yusuf, qui était venu à 'Akka pour accueillir le gouverneur de Syrie, vraisemblablement Nashid Pasha. L'hospitalité que le Mufti avait reçue renforça l'attachement qu'il avait pour `Abdu'l-Bahá qu'il avait, quelque temps auparavant, reçu à Nazareth avec beaucoup d'honneur et avec qui il entretenait depuis lors une correspondance amicale. La qualité de la réception offerte par `Abdu'l-Bahá, ainsi que la situation des Bahá'ís qui vivaient dans son entourage, situation qui était due à leurs règles de vie et qui contrastait par conséquent avec celle de beaucoup d'habitants d' 'Akka, suscita la jalousie d'un nouveau gouverneur d' 'Akka Muhammad Yusuf Pasha, qui voulait obtenir le départ d' `Abdu'l-Bahá de la maison d'Abbud pour l'occuper lui-même. C'était au moment où la mère d' `Abdu'l-Bahá, Asiyyih Khanum, était très malade. `Abdu'l-Bahá garda tout son calme même lorsqu'un soi-disant ami, un certain Asa'id Effendi, offrit ses services pour régler la question moyennant une somme d'argent. `Abdu'l-Bahá répondit qu'il allait réfléchir et se retira pour prier. Lorsqu'il revint auprès d' Asa'id Effendi qui attendait dans l'espoir de recevoir l'argent, il lui dit que l'argent n'était pas nécessaire car tout était arrangé. Asa'id Effendi retourna au siège du gouverneur où il apprit à son grand étonnement que le gouverneur avait été démis de ses fonctions et qu'une commission d'enquête allait arriver pour examiner les malversations auxquelles se livraient le gouverneur et ses assistants. Les habitants d' 'Akka furent très surpris de voir comment la famille du gouverneur qui avait été abandonnée à 'Akka reçut l'aide de Bahá'u'lláh et d' `Abdu'l-Bahá.

Assiyyih Khanum ne se remit pas de sa maladie et décéda en 1886 dans la maison d'Abbud. Les notables d' 'Akka, le cIerge musulman et chrétien suivirent le cortège pendant que des enfants des écoles chantaient des versets sacrés et des poèmes. L'année suivante survint le décès de Mirza Musa, le frère fidèle de Bahá'u'lláh.

Les mutasarrif (26) qui se succédèrent à 'Akka furent de plus en plus favorables aux exilés, comme Ahmad Pasha qui passait beaucoup de son temps en compagnie `Abdu'l-Bahá. Bahá'u'lláh jouissait donc de plus en plus de liberté et beaucoup de personnalités cherchaient à l'approcher. Toutefois il ne recevait ces personnages que très rarement, car il appartenait à `Abdu'l-Bahá de jouer ce rôle d'ambassadeur de son père, ce qu'il faisait avec tant de courtoisie et d'hospitalité que tous étaient à sa dévotion. ('Arif Effendi succéda à Ahmad Pasha. Son père avait connu `Abdu'l-Bahá à Andrinople et avait été son admirateur.

C'est à cette époque, 1890, que Bahá'u'lláh quitta Bahji pendant trois mois pour séjourner une troisième fois à Haïfa. Après un court séjour dans la maison de Zahlan, il planta sa tente au pied du Mont Carmel, dans un jardin situé en face d'une maison appartenant à la colonie des Templiers et connue sous le nom de maison d'Oliphant. Le premier séjour à Haïfa n'avait duré que quelques heures lorsqu'en 1868, il débarqua du bateau l'amenant d'Andrinople et se ré embarqua à destination d' 'Akka'. La deuxième visite eut lieu en 1883 selon une tablette datée de la main de Mirza Aqa Jan. Bahá'u'lláh séjourna pendant quelques jours dans la maison de Fanduq, qui était située dans la colonie fondée par les Templiers allemands. En 1890, Bahá'u'lláh était à Haïfa pour sa troisième visite pendant qu'un orientaliste occidental, le professeur E.G. Brown du Collège Pembroke à Cambridge débarquait à 'Akka.

Brown s'était intéressé à l'histoire des Bábis. Il s'était rendu en Perse où il avait séjourné pendant un an, côtoyant de nombreux Bábis. Il avait publié des articles et des traductions de textes Bábis (27). Au printemps 1890, il se rendit à 'Akka et put rencontrer Bahá'u'lláh, rentré de Haïfa. Il décrivit cette rencontre dans son introduction à la traduction d'un écrit d' `Abdu'l-Bahá, "A Traveller's Narrative" :

"Le visage de celui que je contemplai, je ne saurais l'oublier et pourtant je ne puis le décrire...II eut été superflu de demander en la présence de qui ~e me trouvais; je me prosternai devant celui qui fait l'objet d une vénération et d'un amour que les rois lui envieraient et auxquels les empereurs aspireraient en vain...Une voie douce, pleine de courtoisie et de dignité, me pria de m'asseoir et continua: Loué sois-tu que tu sois parvenu au but...Nous ne désirons que le bien du monde et le bonheur des nations...Ces luttes, ces massacres, ces discordes doivent cesser et tous les hommes doivent former une seule famille... Que l'homme ne se glorifie Ras d'aimer son pays, mais plutôt d'aimer le genre humain..." (28)

La quatrième visite de Bahá'u'lláh à Haïfa eut lieu en 1891 où il resta à nouveau pour trois mois. Il rencontra des membres de la famille Afnan (29) qui en juillet 1891 avaient pu venir de Perse. Un jour qu'il se reposait sous un cyprès solitaire à mi- hauteur de la montagne, il indiqua à `Abdu'l-Bahá l'endroit précis où devait s'élever le mausolée destiné à abriter le corps du Báb qui avait été amené de Perse. Il visita la caverne d'Elie, surplombée par le couvent des carmélites. Il s'arrêta à proximité du couvent sur un promontoire et révéla la Tablette du Carmel dans la9uelle il décrit le destin de la montagne qu'il compare à l'arche d'alliance et qui sera destinée à abriter les institutions internationales de la foi baha'ie. Le terrain a été acquis par la communauté baha'ie qui projette d'y construire dans l'avenir le Temple Bahá'í en Terre sainte.

La renommée d' `Abdu'l-Bahá s'affirmait de plus en plus. En 1879, il fut invité à Beyrouth par le gouverneur de la province de Syrie. A cette occasion, Bahá'u'lláh lui adressa une épître où il exprime toute son affection pour son fils (Lawh-i-Ard-i-Ba). Cette invitation est significative. Le sultan Abdu'l-Aziz, responsable de l'exil de Bahá'u'lláh, avait été déposé trois ans auparavant tandis qu' `Abdu'l-Bahá, toujours prisonnier en droit, circulait librement et rencontrait les personnages les plus éminents, comme le Shaykh Muhammad-'Abduh, le futur Grand Mufti d'Egypte. Ces événements préparaient `Abdu'l-Bahá à assumer le rôle qui serait le sien après le décès de son père et que celui-ci avait déjà défini dans son Très saint Livre, écrit en 1873.

Pour le moment, `Abdu'l-Bahá assumait toute l'administration de la communauté naissante, libérant son père de beaucoup de soucis. Ceci permit à Bahá'u'lláh de consacrer les dernières années de sa vie à la rédaction de nombreuses tablettes, épîtres et traités de toute nature, mais plus spécialement orientés vers la spiritualité, l'éducation et les principes devant régir une civilisation nouvelle dont l'ébauche se trouvait dans le Très saint Livre :

- Lawh-i-Aqdas adressée spécialement aux chrétiens

- Bisharat (Les Bonnes Nouvelles)
- Tazarat ( Les Ornements)
- Tajalllyat (les Effulgences)
- Ishrâq'at (Les Splendeurs)

- Lawh-i-Burrya. (Tablette de la Preuve) adressée au Shaykh Muhammad-Baqir d'Isfahan, responsable du martyre de deux Bahá'ís éminents appelés par ah le Prince des Martyrs et le Bien-aimé des Martyrs.

- Lawb-i-Dunya (Tablette du Monde) en l'honneur de Aqa Mirza Aqa Afnan, à la sui te du martyre des sept martyrs de Yazd .

- Lawh-i-Hikmat (Tablette de la Sagesse) en l'honneur de Aqa Muhammad, connu sous le nom de Nabil-i-Akbar-i-Qa'ini

- Kalimat-i-Firdawsiyyih (Paroles du Paradis)
pour ne citer que les principales.

On peut aussi mentionner des écrits tout aussi importants qui ne sont pas de la main de Bahá'u'lláh. Mais des réponses adressées par son secrétaire Mirza Aqa Jan à des questions posées. Ces réponses consistent toutefois en citations d'écrits émanant de Bahá'u'lláh. Tel est le cas de Lawh-i-Maqsud adressée à Mirza Maqsud, un des premiers croyants vivant à Damas et Jérusalem.

Les deux derniers écrits importants qu'il faut encore mentionne sont d'une part le Kitáb-i-Adh et l'Epître au Fils du Loup. Le Kitáb-i-Adh (Tablette de l'alliance) est en quelque sorte le testament de Bahá'u'lláh par lequel il confirme la position de Centre de l'alliance, définie par le Kitáb-i-Aqdas, pour son fils aîné, la Plus grande Branche, il exhorte les croyants à rester unis sous la protection de ce Centre d'alliance et à proclamer sa cause au monde entier. Quant à l'Epître au Fils du Loup, révélée en 1891; elle est adressée au fils de Shaykh Muhammad-Baqir, appelé Dbi'b (le loup) par Bahá'u'lláh pour son rôle dans l'assassinat des deux martyrs d'Isfahan. Ce fils, Shaykh MuHammad Taqi, était un ennemi aussi irréductible que son père pour la cause de Bahá'u'lláh. Cet écrit important, non seulement cite de nombreux écrits antérieurs, mais nous évoque le moment mystique de la descente de la révélation dans le Siyah-Chal à Téhéran ainsi que les détails de la révolte de Mirza Yahya et ses conséquences.

On estime à quelques 15.000, les écrits de Bahá'u'lláh, parfois de courtes missives, mais plus souvent des épîtres importantes, des traités, sinon des livres. A l'heure actuelle (1993), environ la moitié de ces écrits ont été identifiés et rassemblés dans les archives au Centre mondial de la foi.

9) L' ascension de Bahá'u'lláh

Depuis un certain temps, neuf mois environ, Bahá'u'lláh faisait allusion à son désir de quitter ce monde. 'A partir de ce moment-là, il devint de plus en plus évident, d'après le ton de ses remarques faites à ceux qui parvenaient en sa présence, que le terme de sa vie terrestre approchait, bien qu'il s'abstint d'en parler ouvertement à qui que ce soit. Pendant la nuit qui précéda le 8 mai 1892, il contracta une légère fièvre qui, bien qu'aggravée le jour suivant, baissa peu après. Il continua à donner audience à certains amis et pèlerins, mais il fut bientôt visible qu'il n'allait pas bien. La fièvre le reprit, plus violente que la première fois, son état général alla en empirant, et des complications survinrent qui aboutirent finalement à son ascension, dans sa soixante-quinzième année, à l'aube du 29 mai 1892, huit heures après le coucher du soleil" (30)

Sa dernière audience avait eu lieu six jours auparavant pendant laquelle étendu sur son lit, il fit venir plusieurs pèlerins et leur dit : "Je suis très satisfait de vous tous. Vous avez rendu bien des services, et vous avez exécuté vos tâches avec diligence. Vous êtes venus ici chaque matin et soir. Que Dieu vous aide à rester unis. Qu'il vous aide à magnifier la cause du Maître de l'existence" (31) Il adressa des paroles semblables aux femmes de sa famille et leurs compagnes en leur disant, qu'il les avait confiées à `Abdu'l-Bahá qui prendrait soin d'elles.

La nouvelle du décès de Bahá'u'lláh fut communiquée au sultan 'Abdu'l-Hamid dans un télégramme qui commençait par ces mots : "Le soleil de Bahá s'est couché". Le télégramme informait le sultan du projet d'enterrer les restes de Bahá'u'lláh dans l'enclos du manoir de Bahji, souhait auquel le sultan donna son accord. Il fut inhumé peu après le coucher du soleil, le jour même de son décès, dans une pièce contiguë à lune des maisons occupées par sa famille et qui est aujourd'hui le tombeau sacré, objet de pèlerinage de milliers de croyants chaque année.

Pendant une semaine, un grand nombre de visiteurs, riches ou pauvres, vinrent partager la douleur de la famille. Des notables de toute confession, shiites, sunnites, druzes, chrétiens, juifs, des poètes, ulémas et fonctionnaires venaient témoigner leur respect. Des hommages semblables parvinrent des villes lointaines, telles Damas, Alep, Beyrouth et le Caire.

Ainsi se terminait la seconde période de l'âge apostolique de la Foi baha'ie. Le premier avait été la courte période de neuf années du ministère du Báb. Le ministère de Bahá'u'lláh avait duré trente-neuf ans. Une troisième période allait clôturer cet âge apostolique, les vingt-neuf années du ministère s' `Abdu'l-Bahá, désigné comme centre de l'alliance de Bahá'u'lláh avec les croyants et l'interprète de ses écrits. Au total cela fait soixante-dix-sept ans de révélations et d'interprétations dont les écrits authentiques sont conservés pour servir de base à une communauté qui allait s'étendre très rapidement à tous les pays du monde.

Notes :
(1) Celui qui est guidé.

(2) Celui qui se lèvera pour apporter un règne de justice dans le monde. Les shi'ites lui donnent aussi le nom de Mahdi, ou Mihdi.

(3) Husayn est le deuxième fils de 'Ali. Il succéda à son frère Hasan et fut martyrisé à Karbila en 680 AD. Il fait l'objet d'une vénération particulière dans les milieux shiites.

(4) Quatorze caliphes Umayyad ont régné de 661 à 750. Leur dynastie fut remplacée par celle des 'Abbasides. A la mort du dixième caliphe Abbasid en 861, assassiné par un général turc, l'empire déclina en se divisant en royaumes indépendants, en émirats et principautés.

(5) Le Seigneur de l'âge. On lui donne aussi les noms de

- Muntazzar (Celui qui est attendu)
- Hujjat (la preuve)
- SaQib al-Amr (Seigneur du Commandement)
- Baqiyyat allah (Le reste de Dieu).

(6) Siyyid, titre donné aux descendants de Mubammad

(7) La doctrine énoncée par Shaykh Ahmad présente un certain nombre de points fondamentaux qui divergent avec les autres écoles islamiques.

- La nature de Dieu est totalement incompréhensible, à l'inverse de la doctrine Sufi de l'unité existentielle et de l'union mystique avec Dieu. Pour Shaykh 'Ahmad, Dieu a une connaissance essentielle (dhati) inséparable de son essence, celle-ci devient création muhdath) lorsque Dieu agit dans la création. Il en est de même pour tous les attributs.

- Les Prophètes ont une nature différente de celle des hommes qui ne peuvent accéder à cet état (contrairement au Soufisme). Ils sont les intermédiaires entre Dieu et les hommes.

- Les Imams sont les lumières créées par la lumière de Muhammad, elle-même créée par la Volonté première. Ils sont les agents de la création car ils en sont la cause. C'est pour eux que la création a été créée. Shaykh Ahmad fut accusé d hérésie pour cette doctrine à cause d'attribution d'attributs de Dieu à d'autres que Dieu. Son admiration pour les Imams, l'amena à se prosterner aux pieds des tombeaux des Imâms et non à la tête comme les autres shiites. C'est à ce signe, notamment qu'on reconnaissait les shaykhis.

- Entre le monde physique et le monde spirituel, il y a un monde intermédiaire (Hurqalya ou Huvarqalya),appelé aussi monde des images, des archétypes ('Alam al-milhal). Tous les humains ont non seulement un corps physique qui vit dans notre monde, mais aussi un corps subtil qui vit dans le monde des archétypes. L'Imam caché et les villes de Jabulsa et Jabulqa existent dans ce monde. Cette doctrine sur le monde intermédiaire permettait à Shaykh Ahmad de présenter des explications rationnelles au sujet des croyances superstitieuses de ses contemporains:

i. l'occultation du 12e Imam
ii. la résurrection des corps;

iii. l'ascension nocturne de Muhammad (Mi'raj), par le corps subtil de Muhammad et non par son corps physique.

iv. le quatrième support: les cinq supports de l'islam sont: -Trois supports acceptés par tous les musulmans:

1. Tawhid: unité de Dieu
2. Nabuwwa: l'état de prophète;
3. Ma'ad: résurrection.

v. Deux supports supplémentaires pour les shiites.

1. Imamat
2. Adl: Justice divine.

Shaykh Ahmad ramène ces cinq supports à trois en déclarant que l'unité de Dieu et sa justice sont un même support.

La croyance en les prophètes et en la résurrection sont également un seul support. Siyyid Kazim ajoute un quatrième support: la nécessité d'un intermédiaire éclairé, le Shi'i parfait (ar-Rukn ar-Rabi ou Rukn-i-Rabi) qui est inspiré par l'Imam caché. Par la suite les écoles shaykhi enseignèrent que ce quatrième support est représenté par l'ensemble des ulama.

(8) Les autres Shaykhi se divisèrent en trois factions sous la conduite de :

- Mirza Hasan Gawhar à Karbila, les Usku'is.

- Haji Mirza Shafi et Mulla,Muhammad Namaqani à Tabriz.

- Haji Muhammad Karim Khan-i-Kirman, les plus nombreux qui cherchèrent surtout a se rapprocher des doctrines de l'orthodoxie musulmane.

(9) Mulla (théologien, juge) ou mujtahid (théologien de haut rang, habilité à rendre des sentences faisant autorité ou à prendre des décisions au nom de l'Imam caché sur certains points de la loi coranique).

(10) Peter Smith: The Báb{ and Bahá'í Religions, page 14.

(11) Báb signifie la porte. C'est le titre qu'avaient porté, à la disparition du 12e Imam, quatre personnages qui furent considérés comme les intermédiaires entre l Imam caché et le peuple.

(12) La revendication du Báb lui assura immédiatement beaucoup d'adhérents, surtout parmi les Shaykh!. Ceux-ci interprétaient le mot Báb dans le sens traditionnel de porte vers l'Imam caché, ce qui les maintenait dans la shari'a islamique. Dès 1848, il devint évident que le Báb se prétendait le retour de l'Imam caché, et non sa porte, et qu'en sa qualité de Qa'im, il abrogeait le cycle islamique en inaugurant un nouveau cycle de révélation. "O Qurratu'l-Ayn ! Dis: En vérité, je suis la Porte de Dieu et, avec la permission de Dieu, la souveraine Vérité, je vous donne à boire des eaux cristallines de sa révélation qui jaillissent de l'incorruptible fontaine située sur la montagne sainte" (Qayyumu'l-Asma, Extraits des Ecrits du Báb, Maison d'Editions Baha'ies, Bruxelles 1984, page 45.)

Selon Peter Smith, le Bábisme se caractérise par quelques motifs dont les quatre principaux sont:

- Légalisme: Une loi d'origine divine, constituant l'essentiel de la révélation, est une notion fondamentale aussi bien dans le judaïsme que dans l'islam. Les shakhis, même s'ils offrent i des concepts doctrinaux en variance avec ceux de l'islam restent fidèles à la pratique orthodoxe de la Shari'a. Le Bábisme apporte une nouvelle shari'a et en accentue l'importance; il introduit des pratiques plus sévères et plus exigeantes (la prière, le jeûne, la prosternation aux tombeaux des Imams, les habits, les pratiques économiques, les lois de statut personnel, l'attitude envers les non-croyants) qui font que les Bábis deviennent un groupe à part dans l'islam. Selon Shoghi Effendi, cette sévérité visait "à réveiller le clergé et le peuple de leur torpeur séculaire ainsi qu'à porter un coup soudain et fatal à des institutions périmées et corrompues" (Dieu passe près de Nous, page 24, M.E.B., Bruxelles, 1976.

- Esotérisme: Pour une série d'écoles islamiques, l'application des lois a une contrepartie qui est la compréhension de la vérité intérieure cachée. Cette notion qui conduit à la reconnaissance d'une élite est fortement affirmée dans le Shaykhisme. Au début, le même ésotérisme est pratiqué par le Báb et ses disciples jusqu'à sa déclaration publique. A ce moment, certains disciples considèrent qu'il y a lieu de proclamer toute la vérité et qu'il faut renoncer à cacher sa foi par mesure de prudence (taqiyya). C'est nettement l'attitude de Tahirih. Après les événements de Tabarsi, Zanjan et Nayriz, où les Bábis résistèrent aux troupes . gouvernementales, les disciples adoptèrent une attitude intermédiaire qui consiste à ne révéler que prudemment et progressivement les vérités nouvelles. Cette attitude semble avoir été encouragée par le Báb. Après la mort de celui-ci, les Bábis se renfermeront à nouveau dans un ésotérisme prudent en pratiquant la taqiyya. Les textes Bábis demeureront souvent difficiles à comprendre. L'interprétation littérale des Ecrits sacrés est destinée au commun des mortels. Pour certaines écoles shiites, la véritable signification est à chercher au delà des symboles et des métaphores. Cette approche est encore renforcée dans le Shaykhisme et dans le Bábisme. Chaque verset, chaque lettre même est chargée de savoir divin qui donne lieu à de savants commentaires.

- Le centre d'autorité: Pour les shiites, l'autorité était exercée par les Imams. Depuis la grande occultation, l'autorité passe par l'ensemble des 'ulama. Pour les soufis, le centre d'autorité est la relation entre le disciple et son maître. Pour les étudiants shaykhi, l'autorité est représentée par les maîtres shaykhi. Pour les premiers disciples du Báb, la conception shaykhi semble se continuer car le Báb est considéré comme la porte vers l'Imam caché. Il devint rapidement évident que le Báb revendique pour lui-même une autorité d'une autre nature, attestée par sa capacité de révéler, à une vitesse extraordinaire, des écrits de la nature du Coran lui-même. Après 1848, ses disciples le considérèrent comme l'auteur d'une nouvelle révélation qui mit fin à la dispensation islamique. Ses propres écrits lui donne le titre de point (Nuqta) de la révélation, c'est-à-dire dans la terminologie shiite, un prophète ou messager de Dieu.

- Le millénarisme : Cette doctrine consiste en l'attente d'un royaume de nature divine, attente qui devait durer mille ans. Dans le shiisme, cette attente est centrée autour du retour de l'Imam caché, Muhammad-al-Mahdi. Celui-ci reviendra aux derniers jours, vaincra l'Antéchrist (Dajjal) ainsi que les forces du mal, rétablira le shiisme, remplira la terre de justice, précipitera les événements liés à la résurrection et au jugement dernier. Cette doctrine est le pivot de l'enseignement de l'école shaykhi, puisque le retour du Mahdi est imminent. Elle gagne encore en ferveur dans la période où le Báb, malgré ses affirmations évidentes, est encore perçu comme la Porte envers l'Imam caché. Après l'acceptation de sa position de Mahdi, la croyance en l'inauguration du royaume des saints atteint son paroxysme. Les divergences avec les notions shiites se révèlent progressivement. Les signes des temps de la fin reçoivent des interprétations allégoriques. Une loi nouvelle est révélée abrogeant l'islam. Le Mahdi n'assure donc pas le triomphe du shiisme, mais instaure une religion nouvelle et il conteste l'autorité religieuse en place. Néanmoins le principe du millénarisme n'est pas remis en cause. Après tout la déclaration du Báb en mai 1844 survient exactement mille ans après la disparition du onzième Im~m et l'entrée en occultation du douzième. le Báb possédait toutes les qualités et les caractéristiques qui étaient attribuées au Mahdi par la tradition:

* Siyyid de pure lignée.

* d'un âge entre 20 et 30 ans, de taille moyenne, ne fumant pas, n'ayant aucune déficience physique, ayant un grain de beauté sur le front.

* doué d'une science innée.

Lorsque le Báb revint de son pèlerinage à La Mecque sans passer par Karbila où certains disciples l'attendaient pour prendre le pouvoir, beaucoup d'entre eux furent déçus. Mais la majorité avait déjà été préparée par l'école shaykhi à une autre destinée. Pour les Bábis, l'interprétation du concept du retour (raj'a) pouvait revêtir deux aspects.

* une eschatologie réalisée comme cela s'est passé dans les dispensations précédentes. Le porteur de la dispensation est annoncé par des précurseurs. Il est entouré de ses principaux disciples et les forces de négation se lèvent contre lui. Les précurseurs sont les chefs shaykhi, les disciples sont les Lettres du Vivant, l'antéchrist borgne est Haji Mirza Aqasi, accompagné de son sufyani, Karim Khan Kermani. Le drame personnel se joue à Tabarsi, en souvenir de celui qui eut lieu à Karbila et la dynastie des Qajars rappelle celle des 'Umayyad. Cette position fut celle d'une minorité parmi les Bábis.

* une eschatologie nouvelle où apparaît la figure de Man- Yuzhiruhu'llah (Celui que Dieu doit manifester) et après lui d'autres manifestations divines. La figure de Man Yuzhiruhu'llah domine les derniers écrits du Báb à partir de la révélation du Bayan persan dans la prison de Mah-ku, suivi du Bayan arabe à Çhiriq, ainsi que dans d'autres écrits. On peut toutefois se demander si cette figure n'est déjà pas présente dès le début. En tout cas, selon Shoghi Effendi, le Joseph du Qayyumu'l-Asma en est la préfiguration. C'est la position baha'ie.

(13) Hijaz est le désert d'Arabie. Il s'agit ici d'une allusion à la révélation de Muhammad de même que Shiraz , la ville où le Báb est né et s'est déclaré, est une allusion à sa propre révélation.

(14) Shoghi Effendi, Dieu passe près de nous, p.28

(15) Shoghi Effendi, idem, p.29
(16) Shoghi Effendi, idem, p.96, 97

(17) Extraits de tablettes, cités par Shoghi Effendi dans : Dieu passe près de nous, p 119

(18) Shoghi Effendi, Dieu passe près de nous, p.141

(19) Extraits des Ecrits de Bahá'u'lláh, Maison d'Editions baha'ies, Bruxelles, 1979, pages 22, 24

(20) Bahá'u'lláh avait épousé en septembre ou octobre 1835, à l'âge de 18 ans, Umu'l-Kanat appelée Asiyih-Khanum et à qui Bahá'u'lláh donna le titre de Navvab. Ils eurent sept enfants dont trois seulement survécurent :

- 'Abbas, La Plus Grande Branche et qui pris le nom d' `Abdu'l-Bahá après la mort de son père.

- Baha'iyyih, La Plus sainte Feuille
- Mihdi (Mirza), La Plus Pure Branche

Navvab décéda à 'Akka en 1886. Ses restes furent transférés dans les jardin de Haifa où ils reposent aux côtés de sa fille et de son fils Mihdi.

En 1849, Bahá'u'lláh épousa sa cousine Mahdi-'Ulya, appelé Fatimih Khanum, décédée en 1904, dont il eut trois fils :

- Muhammad 'Ali
- Badi'u'llah
- Diya'u'llah et une fille
- Sadhadiyyih

Pendant la période de Baghdad, Bahá'u'lláh, épousa une troisième femme Gawhar Khanum, dont il eut une fille

- Furughiyyih

Elle resta à Bagdad, puis fut exilée à Mossul avec son frère et Zaynu'l-Muqarribin. Elle rejoignit `Abdu'l-Bahá à 'Akka après la mort de Bahá'u'lláh.

(21) Mishkin-Qalam est connu pour ses calligraphie et ses enluminures de tablettes de Bahá'u'lláh. Zaynu'l-Muqarribin était un docteur de l'islam. C'est lui qui posa à Bahá'u'lláh une série de question concernant l'application des lois du Très Saint Livre et dont les réponses ont été publiées avec celui-ci. Quant à Mirza Haydar-'Ali, il écrivit ses souvenir qui donnent beaucoup de détails concernant la vie aux côtés de Bahá'u'lláh.

(22) Les deux parties de la maison ne forment plus qu'une seule habitation connue sous le nom de Maison d' Abbud. Celle-ci a été acquise et restaurée par la communauté baha'ie. C'est aujourd'hui un lieu de pèlerinage.

(23) La Suriy-i-Muluk (Sourate aux Rois) est une lettre collective adressée aux Souverains de l'époque alors que Bahá'u'lláh séjournait à Andrinople.

(24) Shoghi Effendi, Dieu passe près de nous, p.182

(25) Dr.J.E.Esslemont, Bahá'u'lláh et l'Ere Nouvelle, Maison d'Editions baha'ies, Bruxelles, 1990, p.53

(26) Mutasarif : gouverneur local qui dépend d'un Vali, gouverneur de région.

BIBLIOGRAPHIE
Sur l'islam par un auteur baha'i:

-H.M.Balyuzi: Muhammad and the Course of Islam, George Ronald, Oxford, 1976

Sur l'islam shiite également par un auteur Bahá'í :

-Moojan Momem: An Introduction to shi'i Islam, George Ronald, Oxford, 1985.

Sur le shahkisme :

-The Bahá'í Faith and Islam: Proceedings of a symposium, Mc H Gill University, March 22-25, 1984: The Development of ~ay~1 Thought in Shi'i Islam.

-A.L.Nicolas, Consul de France à Tabriz:
-Le Cheikhisme, Editions Leroux, Paris, 1911

-Cheikh Ahmed Lahçahi, Librairie Paul Geuthner, Paris 1910 -La Science de Dieu, idem, Paris, 1911 -Seyyed Kazem Rechti, idem, Paris, 1914

Sur le Bábisme:

-Bab: Le Béyan persan, traduction de Nicolas, Paul Geuthner, Paris, 1911.

Sélections des Ecrits du Báb, Maison d'éditions bah~'{es, Bruxelles 1984.

-Nabil: la chronique de Nabil, Maison d'éditions baha'ies, Bruxelles, 1986

-Balyuzi, Hasan M., The Báb, The Herald of the Day of Days, George Ronald, Oxford, 1973.

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-Smith Peter, The Báb and Bahá'í Religions, University Press, Cambridge, 1987.

Sur la foi baha'ie:

-Shoghi Effendi, Dieu Passe près de nous, Maison d'éditions Baha'ies, 2e édition, Bruxelles, 1976.

-Dr J.E.Esslemont: Bahá'u'lláh et l'Ere nouvelle, 6e édition 1990, Bruxelles.

-H.M.Baluyzi, The King of Glory, George Ronald, oxford, 1980.

-Adib Taherzadeh, The Revelation of Bahá'u'lláh, Quatre Volumes, George Ronald, Oxford 1972, 1977, 1983, 1987.

-Christian Cannuyer: Les Bahá'ís, Peuple de la Triple Unité, Collection "Les Fils d'Abraham", Brepols, 1987.

-Louis Hénuzet, Les Bahá'ís par Christian Cannuyer: le point de vue d'un baha'i, Maison d'Editions, Bruxelles, 1990.


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